«La médiocratie» d’Alain Deneault chez Lux Éditeur – Bible urbaine

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«La médiocratie» d’Alain Deneault chez Lux Éditeur

«La médiocratie» d’Alain Deneault chez Lux Éditeur

Nous, pauvres médiocres, prenons conscience

Publié le 26 novembre 2015 par Alexandre Provencher

Crédit photo : Lux Éditeur

Sommes-nous tous des médiocres? Peut-être. Nous suffisons-nous du statu quo? Certainement. Cette «médiocratie» est-elle généralisée? Absolument. Le nouvel ouvrage d’Alain Denault définit la notion de «médiocre» et l’applique dans trois disciplines précises: l’éducation, l’économie et la culture. L’essai, fort bien argumenté, fait émerger beaucoup de questionnements sur la société, sur les présupposés, sur les véritables schèmes de valeurs transmis dans l’espace public. C’est une lecture d’actualité, proposant un regard en marge des opinions généralisées, mais sans véritable solution.

Pour Deneault, la médiocrité est généralisée. C’est la quête vorace de la normalité, du médium, de l’extrême-centre. Un médiocre «se satisfa[it] de dissimuler ses carences par une attitude normale, se réclam[e] du pragmatisme, mais n’[est] jamais las de perfectionnement». Pour être médiocre, il ne faut pas changer les règles, il ne faut rien réinventer, il faut tout simplement maintenir la stabilité. Quoiqu’a priori pessimiste, ce concept n’est pas nouveau.

D’ailleurs, Alain Deneault s’affaire à le définir dans son introduction et à préciser son historicité qui remonte à Marx. Ainsi, on comprend vite que cet ouvrage s’inscrit dans une approche marxiste et postmoderne de la société, s’inspirant des écrits et philosophes de ces visions. Donc, le capital devient un moyen généralisé de contamination des médiocres. Ceux-ci sont maintenant devenus majoritaires et érigent un modèle plus fort chaque jour.

Pour Deneault, la société, telle que conçue actuellement, devient un simulacre basé sur la notion «jouer le jeu», qui vise à se tromper mutuellement dans le but de favoriser des situations opportunistes. Cette introduction, bien que théorique, met la table aux trois chapitres subséquents qui, à leur tour, explicitent cette médiocrité.

Deneault en a long à dire sur le monde de l’éducation. Asservissement des professeurs aux subventions, style d’écriture totalement incongru, systèmes universitaires corrompus et un mode d’enseignement déficient. En effet, l’éducation s’avère le premier lieu de diffusion de la notion de médiocre. L’auteur affirme sans peur que les universités sont devenues un bien consommable à la merci du marketing. Les universités se font compétition entre elles et basent leur image sur l’excellence de leurs professeurs. Ces derniers doivent produire des études, des enquêtes, donner des conférences et obtenir des bourses prestigieuses.

Ce cercle vicieux occasionne donc une perte dans la transmission des savoirs. Les professeurs se contentent alors de limiter la qualité de leur recherche, produisent beaucoup d’articles vident de sens et répètent les mêmes cours sans modifier leurs méthodes d’enseignement. Deneault affirme même que «l’entreprise universitaire relaie, en même temps qu’elle le produit, un discours d’ignorance».

La finance et le commerce national et mondial basés sur la stipulation, le pouvoir et le trafic d’influence pervertissent la société actuelle. Selon l’auteur, la crise financière de 2008 n’a pas été comprise. Les mêmes actions sont répétées, et ce, puisque les médiocres sont tous avides d’argent. La valeur d’un bien (tangible et intangible) devient la «visée suprême». De ce fait, les médiocres associent l’argent au mérite. Ils deviennent donc avares. Par conséquent, Deneault exprime son incompréhension quant à la situation actuelle de l’Afrique et des syndicats. Ce chapitre est fort intéressant.

La culture et la civilisation alimentent également la médiocrité dans la société. L’argent est culturellement refoulé dans la collectivité. C’est un signe, selon Alain Deneault, de l’importance du capital. À ce chapitre, culture appartient aux riches et célèbres: les bailleurs de fonds. Ceux qui louangent leurs investissements. D’ailleurs, des universités comme le HEC forment des gestionnaires de la culture pour mieux protéger le système.

Comment s’en sortir? Co-rompre.

Deneault expose des faits, basés sur une analyse qui lui est propre. Le philosophe met de l’avant des idées partagées par les théoriciens critiques, questionnables, bien entendu. L’exposé de l’ouvrage doit être plutôt utilisé comme un éveilleur de conscience pour les lecteurs qui veulent bien comprendre et s’interroger sur le monde qui les entoure. Malgré tout, il s’agit d’un ouvrage coup-de-poing. L’argumentation de l’auteur est forte, imagée, concrète. Elle permet de véritablement songer à la conception actuelle de la finance, du mode de vie et de l’éducation reçue.

De manière plus pessimiste, on constate que le pouvoir de changer les choses est limité. Deneault n’indique jamais une solution claire. Il propose plutôt de co-rompre. Donc, de procéder à une véritable corruption du système en place, de penser à des pistes de sortie, à philosopher. Bref, à se mobiliser.

À la suite d’un exposé d’une grande qualité, basée sur une argumentation imagée et solide, la conclusion de l’auteur aurait pu être plus mobilisatrice. L’auteur laisse en suspens sa réflexion. Les lecteurs, sans être paresseux, auraient pu bénéficier encore davantage de la vivacité d’esprit de Deneault et de lire quelques pistes concrètes de sorties. 

Puisque vous le savez, Monsieur Deneaut, que seuls devant leur livre, les auteurs ne peuvent rien faire. Maintenant, si un changement de paradigme, de gauche ou de droite doit être envisagé, de quelle manière s’y prendre? Est-ce seulement par la philosophie?

«La médiocratie» d’Alain Deneault, Lux Éditeur, 19,95 $, 224 pages.

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