CinémaEntrevues
Crédit photo : Image tirée du film «Ma nuit chez Maud»
J’ai regardé le documentaire La Fabian cette semaine. Vous dites que le métier d’acteur «exacerbe un peu la sensibilité». Au-delà de la formation pour être acteur, est-ce que ça prend une personnalité pour exercer ce métier? On ne s’improvise pas comédien?
«Tout le monde, je ne le sais pas. Être comédien ça ne veut rien dire du tout. Ce qu’il y a, c’est de faire sa vie avec ça et que ça dure. Que ce soit vraiment un parcours sérieux, profond. Parce qu’être comédien, tout le monde peut se dire: “Ah!, je suis comédien”. Écoutez, moi j’ai un ami par exemple qui a tourné, qui dans la vie était drôle, brillant. Qui avait beaucoup d’humour, qui racontait des histoires. Un jour, on lui a dit qu’il allait faire un garçon de café et qu’il allait dire: “Un café pour le trois” incapable, mais incapable de parler juste. Incapable de trouver le rythme de ça. Alors qu’il était brillantissime dans la vie. C’est autre chose.
C’est très exigeant, le théâtre, le cinéma; mais on s’y amuse beaucoup?
«Ah oui, heureusement.»
Je vous ai entendu dire également: «On ne refait pas sa vie, on la continue» à l’émission de Catherine Perrin cette semaine. Mais dans le cinéma et le théâtre, est-ce qu’on se réinvente toujours un petit peu?
«Ça, c’est exactement le mot. On se réinvente. Et c’est ça qui est amusant. Et c’est pour ça qu’on ressemble à des enfants, c’est parce qu’on réinvente toujours. Moi je réinventais tout le temps des tas de choses, je vivais des quantités de personnages quand j’étais petite. Mais je ne savais pas du tout que j’allais jouer la comédie. Moi je faisais mes études et du piano. Je ne pensais pas du tout, j’étais trop timide pour penser que j’allais me mettre comme ça, en face des gens. C’est venu plus tard avec la conscience de ce que je pouvais faire. Et puis c’est une femme qui m’a encouragée à devenir comédienne, mais je pense que je l’ai toujours été.»
C’était déjà en vous.
«Oui. Je l’ai toujours été. J’étais même un peu mythomane quand j’étais toute petite. Je m’inventais des vies, je m’inventais des parents, je m’inventais des tas de trucs. J’ai même fait beaucoup de chagrin à ma sœur à cause de ça, à cause de mes mensonges. Ma mythomanie ce n’était pas des mensonges. Je m’inventais une réalité qui était très très loin de la mienne.»
Donc, la fiction au cinéma et au théâtre ça vous rejoint beaucoup, c’est une façon de vivre et de rêver?
«Oui. De rêver et en même temps ça demande beaucoup de travail. Ça demande beaucoup de concentration, ça demande de la rigueur. Parce que ça ne s’invente pas comme ça. Ce n’est pas une chose dans laquelle on arrive, non pas du tout, il faut savoir où on va. C’est un chemin aride, parce que l’important, ce n’est pas tellement de commencer, mais de durer. Parce qu’il y a énormément d’usures. Il y a beaucoup de jeunes comédiens qui veulent que leurs noms soient affichés en grand sur les Champs-Élysées, mais ils n’ont pas lu une pièce. Ils ne lisent pas, ils n’apprennent pas.»
Vous avez incarné de grands rôles, de grandes femmes, des personnages très incarnés. Qu’est-ce qu’on garde de cela? Ou plutôt, qu’est-ce qu’on donne de nous et qu’est-ce qu’on en retient?
«C’est comme les histoires d’amour, c’est comme les rencontres. Il y a des histoires d’amour qui vous ont marqué, qui vous ont appris des choses, qui vous ont fait souffrir, qui vous ont appris des choses de vous-même, et puis il y a eu des histoires d’amour qu’on a oublié ou qui n’ont pas énormément compté. Eh bien, c’est comme ça, dans ce travail-là, c’est comme ça, puisqu’on engage sa sensibilité, ce n’est pas un travail de bureau. On engage sa sensibilité, ses sentiments, donc c’est toujours lié aux sentiments, aux souvenirs, bons ou désagréables qu’on a pu avoir à travers ce métier. Moi, il y a des choses que j’ai faites, quand je les ai finies j’ai pleuré d’avoir fini. Et il y en a j’étais ravie, je disais “J’en ai assez, ça ne va pas, je ne suis pas contente de ce que j’ai fait” et puis c’était comme ça. Ce sont des rencontres. On rencontre le métier et chaque fois c’est nouveau.»
À la lumière de votre carrière, vous sentez que vous avez encore des choses apprendre du travail?
«Ah oui, oui, bien sûr.»
Qu’est-ce qui vous intéresserait dans un avenir rapproché? Les rôles qui vous plaisent et que vous aimeriez faire?
«Justement, on est en train d’écrire un rôle, enfin deux rôles de femmes, pour moi, enfin pour nous, cette femme italienne et moi, qu’on va jouer à Spolète et à Paris, on va faire une tournée, on va aussi faire une tournée en Italie. Ça, c’est une chose qui est en train de se préparer pour moi, qui va commencer cet été. Et puis là, je vais tourner avec Luc Bondy, je vais reprendre avec Luc Bondy le Tartuffe de Molière que j’avais joué au théâtre l’année dernière.»
Je regardais aussi récemment le film La Bonne Année, que j’ai beaucoup aimé.
«Oui, moi aussi, j’ai beaucoup aimé.»
C’est un film très drôle, mais en même temps, il y a beaucoup de moments tendres, notamment avec Lino Ventura. Beaucoup de références au cinéma, Lelouch cite des réalisateurs, il joue avec les codes; c’est en noir et blanc, c’est en couleurs… C’était comment le tournage avec Claude Lelouch et Lino Ventura?
«C’était idyllique, vraiment idyllique. On était comme des enfants qui jouent ensemble. C’était inventé. Moi, je n’avais pas lu le scénario. Claude m’a raconté le scénario, comme il l’a raconté à Lino Ventura. On n’avait rien d’écrit. On s’est dit on part à l’aventure. Et alors, le matin, il nous disait: “J’ai écrit ça, cette scène-là, et puis on va la tourner”.»
«Il ne faisait pas d’économie de pellicules, parce qu’il était son propre producteur, donc on la tournait et elle mise dans la boîte. Il disait: “Maintenant, elle est dans la boîte, elle est sécurisée. Maintenant, vous allez la rejouer, vous allez inventer”. Alors il disait à Lino, “tu vas lui dire ça, on va voir comment elle réagit”. Et moi j’étais au pied et puis je réagissais, mais c’était formidable parce qu’en même temps, on avait une liberté de jeu.»
Il faisait confiance aux acteurs.
«Ah oui. Il tournait avec la caméra au dos tout le temps. Donc, il faisait partie de notre dialogue. Il était témoin de notre vie et on n’avait pas de contraintes mécaniques. Parce que quand on fait des films qui sont plus élaborés, plus sophistiqués, on a des places par rapport à la caméra, par rapport à la lumière, il y a tout un tas de contraintes comme ça. Alors que là, il n’y avait aucune contrainte, on faisait ce qu’on voulait et lui suivait.»