MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : CVLT Nation
Tout commence avec un premier single, le brillant «Upside Down», qui déstabilise le monde musical avec sa rythmique primitive et ses épaisses couches de feedback provenant du jeu unique de guitares des frères Jim et William Reid, leaders du groupe. Encore aujourd’hui, l’expérience sensorielle est sidérante. Les frères Reid incarnent le paroxysme du je-m’en-foutisme: l’attitude «surdécontractée» qu’ils déploient vient en parfait contraste avec la montagne de bruits qu’ils produisent. Sur scène, ils jouent souvent dos à la foule et franchissent rarement la barre des trois ou quatre chansons, semant l’hystérie et la colère dans la foule. Malgré tout ce brouhaha, le groupe se déniche un contrat de disques et entre en studio sans réalisateur, laissant croire à un album qui sera fort probablement inécoutable.
Mais The Jesus & Mary Chain est un groupe qui aime particulièrement berner les gens. Ainsi, derrière le chaos infernal de leurs prestations se cache une sensibilité pop parfaite. Oui, leurs explorations sonores rappellent les turbulences soniques du Velvet Underground et des Stooges, mais les membres du groupe sont des admirateurs finis des Beach Boys et des girl groups des années 1960. Si la presse les baptise rapidement comme les nouveaux Sex Pistols dû à la violence lors de leurs spectacles, musicalement ils font beaucoup plus penser au punk-pop bonbon des Ramones.
Alors, la chanson qui ouvre les hostilités de leur tout premier album Psychocandy est une incroyable chanson pop. «Just Like Honey» commence exactement de la même façon que «Be My Baby» des Ronettes. Plus loin sur l’album, la chanson «Sowing Seeds» emprunte encore une fois exactement la même introduction. L’obsession pour les girl groups est bien réel. Mais revenons à la glorieuse «Just Like Honey», qui semble être à la fois une chanson sur un amour obsessif et une métaphore sur le sexe oral: «I’ll be your plastic toy», répète Jim Reid juste avant d’amener la chanson à son point culminant. Un back vocal féminin apparaît même lors de la finale. Un sublime moment rock ‘n’ roll que Sofia Coppola capturera merveilleusement dans la dernière scène du film Lost In Translation.
Les sujets abordés reflètent les principales préoccupations juvéniles dissidentes et cyniques: les filles, l’ennui, se défoncer, s’envoyer en l’air. Les références au sexe et à la drogue se mélangent tellement qu’il devient impossible de savoir quelle chanson parle de quoi. Les paroles sont simples et se fredonnent naturellement malgré le caractère tonitruant de la musique. Toutes les chansons amènent leur lot d’excitations: le riff pesant de «Taste the Floor», la décadence d’«In a Hole», la perversion d’«Inside Me», la frénétique «Never Understand», et j’en passe. Avec le recul, on réalise à quel point Psychocandy est un titre parfait pour décrire les côtés psychotiques et bonbons de leur musique.
L’album aura un impact culturel significatif. Pas nécessairement à cause des ventes (même s’il s’est bien vendu considérant sa nature cacophonique), mais plutôt à cause de l’influence qu’il aura sur le mouvement shoegaze et de nombreux nouveaux groupes (de My Bloody Valentine aux Pixies en passant par The Raveonettes et Black Rebel Motorcycle Club). Après Psychocandy, le batteur Bobby Gillespie quittera pour former le génial groupe Primal Scream et les frères Reid livreront l’excellent mais très différent Darklands (1987), qui verra la formation abandonner la terreur des guitares pour un son plus intime et mélancolique, n’égalant toutefois pas la frénésie de leurs débuts. Et à savoir pourquoi le groupe a choisi les guitares au détriment des synthétiseurs, les frères Reid répondent, naturellement : «Guitars look better». La vie est si simple quand on y pense.