ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Minelly Kamemura
Elle arrive à peine d’Edmonton où elle a participé à un spectacle de danse, et elle avoue travailler énormément, mais peu à Montréal. Les voyages, ça lui connaît: pour Peepshow seulement, en 2005, 2006 et 2007, c’est Toronto, Vancouver, Calgary, mais aussi l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la France, la Suède, l’Italie, la Suisse, et même l’Australie qui l’ont accueillie les bras ouverts. «J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de gens qui se sont intéressés à mon travail, et qui se sont intéressés à moi en tant qu’artiste, et à ma démarche. Donc ils m’ont soutenue, pas juste quand j’avais des succès. Et ça, c’est quelque chose qui est fragile, aujourd’hui», admet-elle, presque plus pour déplorer les coupures dans le milieu théâtral et le manque de visibilité et de soutien pour les artistes plus jeunes que pour expliquer son propre succès.
C’est d’abord son travail aux côtés de Robert Lepage qui a ouvert Marie Brassard à une certaine façon de créer. «Avec Robert, on créait des spectacles beaucoup comme ça, à partir d’improvisations, et on était très libres de nos interprétations». Elle reprendra le même procédé, à partir des années 2000, pour créer ses propres solos: «ça m’a un peu donné un outil pour faire de la mise en scène, parce que comme je suis actrice d’abord, et que j’aime beaucoup improviser, je me suis mise à écrire de cette façon-là, c’est-à-dire en me mettant au milieu du spectacle qui est à développer. Donc ça part de moi et, d’une certaine manière, c’est comme si ça m’avait donné une direction, à savoir quelle serait ma signature, si je peux dire, ou ma manière d’aborder le théâtre».
Rapidement, ce fût aussi l’emploi de la technologie pour créer différents sons et sonorités qui prit le dessus et qui devint partie intégrante de tous ses spectacles. «Cette recherche et cette exploration-là du son, ça fait vraiment partie de ma démarche artistique. C’est comme si ça m’avait donné un outil en tant qu’actrice pour pouvoir aller plus loin. Pour pouvoir faire des propositions de jeu qui, à mon sens, étaient plus nouvelles, plus contemporaines, plus étranges, parce que ça me permettait entre autres de créer des personnages dont la voix ne correspondait pas au corps. Et ça, je trouvais que ça nous amenait à un autre degré de complexité.»
Même si la créatrice s’est toujours donné comme défi de se renouveler, ce travail du son ne l’a jamais quittée, et dans Peepshow, c’est de cette façon que l’unique interprète sera en mesure de jouer plusieurs personnages. «Il y a quelque chose de très beau et de très séduisant, de développer une pratique en essayant toujours de creuser plus loin dans la même direction. Alors je ne me fais pas vraiment de soucis, par rapport à ces technologies. Est-ce que c’est nouveau, est-ce que ça révolutionne le genre? Non, moi c’est un langage qui m’intéresse et que j’essaie de continuer de développer».
«Au théâtre, on est vraiment en total contrôle de ce qu’on présente, de ce que les gens voient, surtout si on l’a créé soi-même», explique celle qui habituellement porte tous les chapeaux, soit ceux d’auteure, de metteure en scène et d’interprète. Totalement investie dans ses créations, elle ne fait aucune concession. «C’est sûr que quand je fais un spectacle, j’ai envie que les gens l’aiment et que ça les intéresse, mais je ne fais jamais les choses en fonction de ça. Vraiment jamais. J’essaie tout le temps d’être le plus fidèle possible à mon impulsion personnelle. Et puis les gens suivent!» Car elle l’avoue elle-même, elle a parfois fait des spectacles très étranges, elle a essayé des choses. Mais toujours, les gens étaient au rendez-vous, et elle dit avoir perçu qu’ils étaient ravis qu’elle les invite à partager ça avec elle.
Celle qui trouve aussi que d’avoir l’impression qu’il faut s’abaisser pour parler aux gens est une forme de mépris, pense que c’est une responsabilité des artistes que de proposer au public des choses qui vont le surprendre. «Je pense vraiment que ça fait partie de ma responsabilité, personnellement, de faire des choses qui vont les amener ailleurs, qui vont les faire réfléchir autrement. Sinon, à quoi ça sert? Je ne trouve pas que c’est fatiguant, réfléchir. C’est pas fatigant de penser, on fait ça tout le temps. C’est aussi fatigant de penser à des niaiseries que de penser à des choses intéressantes, en fait!» Elle rit, mais derrière cette déclaration se cachent vraisemblablement une irritation et une horreur du conformisme.