ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Minelly Kamemura
«Ça nait de la peur, le conformisme. C’est de ne pas être seul, c’est de savoir que tout le monde ne te voit pas comme une bibitte. Le conformisme, c’est de sentir que tu es épaulé par les autres, parce que tu fais partie du club, parce qu’on est tous pareils et on pense tous pareils, et on est bien comme ça. Moi, ça, ça me terrifie». Et c’est de cette frayeur de l’uniformisation et du moule dans lequel on doit rentrer qu’est probablement né Peepshow, en quelque sorte. Outre la trame de fond – qui n’est pas nécessairement expliquée ou soulignée – d’un chagrin d’amour personnel de l’auteure, d’une certaine manière, la pièce est aussi issue de ce désir, depuis que Marie Brassard est toute petite, d’essayer de comprendre le monde, mais de le voir dans toutes ses couleurs et nuances.
«C’est beaucoup autour de l’amour, du désir, puis il y a un personnage principal ou récurrent qu’on suit. Elle, elle est vraiment curieuse, animée par le désir de connaitre le plus possible de choses, puis elle se dit aussi que probablement qu’il y a plus que ce qu’on voit dans la réalité, et c’est ça qu’elle veut voir». Il y a plus à regarder dans la vie que ce qu’on regarde, philosophe-t-elle, s’inquiétant à nouveau de l’uniformisation de la pensée, «parce que c’est comme si on se faisait imposer une manière de regarder les choses, et moi dans la vie, j’essaie de me protéger de ça, et mes spectacles sont un peu le reflet de ça».
«Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours été attirée et curieuse des gens qui sont un peu en marge. Même encore aujourd’hui, c’est quelque chose qui m’inspire, qui m’attire, de toutes sortes de manières. J’aime les choses différentes, j’aime les choses surprenantes, inusitées. Ça fait vraiment partie de ma nature.» Les gens et choses excentriques sont rassurants, pour Marie Brassard, car pour elle, il y a une authenticité dans l’excentricité, et c’est cette vérité qu’elle a recherchée en créant Peepshow. «Être excentrique, ça veut dire être en dehors du cercle, en dehors du centre, c’est-à-dire à part. Ça implique une solitude, aussi, ça implique un courage… La plupart des anecdotes qui sont racontées dans Peepshow sont inspirées d’anecdotes de ma propre vie. Elles ont été romancées, remaniées et tout ça, mais il y a quand même de ça, au départ. Et pour moi, l’excentricité, c’est l’authenticité aussi parce que quand on est authentique, on se sent très seul. Et c’est très difficile d’avoir le courage de montrer ça au monde.»
Heureusement pour Marie Brassard, cette fois-ci, c’est Monia Chokri qui aura cette lourde tâche de se mettre à nu et de livrer ce texte très personnel et intime au public, mais sous la direction de Brassard. «Elle est très audacieuse, Monia. C’est un choix qui s’est imposé naturellement, je me suis dit que son imaginaire ou sa manière d’aborder les choses conviendrait bien à ce spectacle en particulier», confie celle qui l’avait déjà dirigée une première fois, dans La fureur de ce que je pense, aussi à ESPACE GO. Pour cette réinterprétation de son œuvre, l’auteure a choisi de couper un segment qui lui semblait moins pertinent et de le remplacer par un tout nouveau.
«Pourvu qu’on travaille avec constance, chaque jour, et puis qu’on suit notre instinct et qu’on écoute les découvertes qu’on fait, je pense que ça peut juste aller dans un sens positif, et les surprises, il faut les accueillir aussi. Il n’est jamais trop tard pour qu’une surprise arrive. La porte est toujours ouverte pour que quelque chose se produise qui va transformer le spectacle.» C’est ainsi que la créatrice fonctionne, se laissant surprendre par les collaborateurs avec qui elle crée, les laissant pénétrer dans son univers tout en les inviter à y mettre du leur et à le teinter. «C’est très intéressant de chercher des artistes qui ne viennent pas nécessairement du milieu du théâtre. C’est le cas dans Peepshow, par exemple, où il y a l’artiste Ying Gao qui va créer les costumes; Ying travaille normalement dans le milieu de la mode, mais surtout dans le milieu du design de vêtements, qui fait des pièces pour les musées d’art contemporain, des choses comme ça, qui présentent plus dans un environnement muséal qu’au théâtre.»
Autrement, c’est avec une équipe solide qu’elle connait bien qu’elle a replongé dans son Peepshow, aux côtés du scénographe Simon Guilbault et du musicien Alexander MacSween, qui étaient déjà là au départ, en 2005, et avec qui elle a créé étroitement ce spectacle-là. Mais cette fois-ci, Marie Brassard n’interprétera pas son propre solo et devra s’en remettre entièrement à son interprète, tout comme elle invite les spectateurs à «s’ouvrir et à se laisser guider par Monia [Chokri], qui va les faire pénétrer dans cette histoire, qui est une histoire intime, dans laquelle beaucoup de gens, je pense, vont se retrouver à un moment où à un autre».