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Crédit photo : Libre Expression
«Nous sommes au XXe siècle, il est temps, même pour les sauvages, d’apprendre à devenir modernes!»
Disposés en rang, les larmes aux yeux et le cœur serré, tous les enfants de Mashteuiatsh sont donc forcés de monter à bord d’un autobus qui les mènera d’abord à Roberval, où l’avion de la Royal Canadian Air les y attend, puis ensuite à Fort George, une île située dans la partie nord de la baie James, voisine des Cris et des Inuits. Les belles promesses faites aux parents s’envolent en fumée dès leur arrivée sur les lieux: les enfants vont vivre un enfer entre les murs de ce pensionnat dont le gouvernement canadien avait pourtant vanté les mérites, en plus d’être sévèrement punis, violentés et abusés sexuellement par des religieux au cœur de pierre.
L’écrivain et journaliste innu Michel Jean, après ses romans Une vie à aimer (2010) et Elle et nous (2012), s’attaque à un sujet chaud avec son plus récent roman Le vent en parle encore, une histoire tragique criante de vérité qui lève le voile sur les agressions commises à Fort George vers le milieu des années 1930. À l’heure où la Commission de vérité et réconciliation du Canada cherche à panser les blessures des ex-pensionnaires de Fort George, il était de mise qu’un roman aussi choc fasse son entrée sur la scène littéraire. Loin d’être un cri du cœur, ce roman réaliste, porté par le souffle poétique d’une plume d’une beauté exquise, oscille entre le récit d’enquête et le journal autobiographique d’une vieille autochtone aujourd’hui alcoolique.
L’attention du lecteur au cours de sa lecture est constamment mise en état d’alerte puisque Michel Jean a construit son récit de sorte qu’il n’y ait jamais de pauses ou de lourdeurs stylistiques. Dynamique, son écriture ne manque pas un détail, suscitant par sa force et son impact une multitude d’images qui permettent au lecteur de pleinement s’évader au rythme du récit. Puis la succession de voix narratives, divisées en trois parties, permet un rythme soutenu et une division du récit en trois partie. D’une part, on suit l’enquête de l’avocate Audrey Duval, qui va tenter de percer le mystère de la disparition des adolescents Marie Nepton, Virginie Siméon et Thomas Vollant. D’autre part, on a droit en parallèle au récit des jeunes pensionnaires de Fort George en 1936. Puis, vers la fin du livre, on connaît enfin la confession de Marie Nepton racontée à la première personne du singulier, qui va aider, par son témoignage, à jeter la lumière sur la disparition de Thomas et de sa meilleure amie Virginie.
Sans la présence d’Audrey Duval, Le vent en parle encore n’aurait été qu’un récit cru et touchant qui nous aurait laissé un goût amer en bouche; avec celle-ci qui agit comme personnage à part entière, le plus récent roman de Michel Jean franchit la barrière de la fiction pour venir ébranler les frontières du réel, avec cette avocate qui désire «comprendre pour accepter et pour obtenir justice pour les victimes».
Qu’on le veuille ou non, 150 000 jeunes autochtones ont été envoyés dans des pensionnats partout au Québec et plusieurs d’entre eux ont connu des traitements inhumains, dont 4 000 y sont morts, et c’est pourquoi ces gens méritent, plusieurs dizaines d’années plus tard, une indemnisation pour panser leurs blessures toujours ouvertes.
«Ce lieu n’existe plus de toute façon. Il n’est plus aujourd’hui qu’une île abandonnée, un village fantôme. Et c’est tant mieux. Le vent y aura finalement eu raison de l’orgueil des hommes.»
«Le vent en parle encore» de Michel Jean, Éditions Libre Expression, 2013, 238 pages, 24,95 $.
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