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Crédit photo : Tous droits réservés @ Festival du Nouveau Cinéma
Le «nous» est important ici, puisqu’elle brise à plusieurs reprises le quatrième mur à travers une approche particulière préconisée par le réalisateur.
Durant cette semaine, Maria fait semblant de tourner un film sur son parcours avec un «journaliste» qui partage le nom de la drogue dont elle est dépendante, Mandrax (Kodi Smit-McPhee), en étant sous ses effets. Lors d’un moment qui se passe dans son imagination, où un orchestre de violons se fait entendre, ce dernier informe Maria du fait que le public regardant le film attend de la voir chanter.
Ce à quoi elle réplique: «Je chanterai seulement lorsque je serai prête».
Cependant, elle ne sera jamais prête. Maria est maintenant horrifiée à l’idée même de chanter devant un public. Un retour sur scène se fait attendre par ses admirateurs et les médias, mais elle n’a plus l’énergie ou le désir de le faire. Pour elle, la chanson est un acte qui vient du plus profond de nous-mêmes et est, dans la mesure du possible, représentatif de nos imperfections en tant qu’humains. C’est d’ailleurs ce qu’elle dit à un serveur lorsqu’elle se retrouve dans un restaurant jouant l’un de ses disques.
Et puis, Maria déteste s’écouter, puisque ses albums représentent une voix idéalisée, ou parfaite, qu’elle devrait toujours atteindre sur scène. Cependant, cette confrontation au restaurant l’emmène à revisiter sa discographie dans son appartement avec un certain remords d’un passé qui n’existe plus afin de s’échapper du cauchemar perpétuel qu’elle vit au présent.
Un portrait complexe et visuellement puissant
Comme Jackie et Spencer, Maria n’opère pas dans une structure filmique traditionnelle, même si Larraín prend le temps de définir ses «actes» par le biais d’un clap qui nous indique quand le film fictif qu’elle fabrique dans sa tête passe à une autre partie.
L’œuvre déstabilise immédiatement par une structure quasi expérimentale dans sa présentation de Maria Callas. D’ailleurs, c’est sous la forme d’un montage que Larraín introduit la figure centrale juxtaposée par de gros plans de son visage qui chante directement devant le public regardant le film.
Dans cette scène introductive, les moments fragmentés de la vie de Maria ont une apparence joyeuse, montrant un passé que la protagoniste désire vouloir revisiter.
Mais lorsqu’elle le fera avec Mandrax, son parcours, qui apparaît en surface passionnant, se déconstruit rapidement pour dévoiler ses côtés les plus sombres. Entre autres, le film dépeint sa relation contrôlante avec le magnat Aristotle Onassis (Haluk Bilginer) ainsi qu’une enfance marquée par l’abus de sa mère, vendant le corps de son enfant comme objet sexuel durant la Deuxième Guerre mondiale.
Onassis mariera éventuellement Jackie Kennedy quelques années après l’assassinat du président John F. Kennedy (un moment qui vient unir la «trilogie» de Pablo Larraín lorsque JFK apparaît à l’écran), mais maintiendra une relation avec Callas jusqu’à son décès.
Ces séquences, tournées en noir et blanc, sont souvent difficiles à regarder. Tout se passe à travers des métaphores visuelles fortes, traitées avec aplomb par le directeur de la photographie, Edward Lachman. Rien de troublant n’est montré à l’écran, mais ces séquences sont traitées souvent avec une froideur extrême, autant par l’esthétique que par les expressions faciales des personnages.
Comme deuxième collaboration avec Larraín après El Conde, dont il fut nommé aux Oscars, le langage visuel de Lachman suit ce que Stéphane Fontaine et Claire Mathon avaient établi dans Jackie et Spencer, mais pousse cependant le lyrisme des images un peu plus loin que les films précédents.
Cela est nécessaire, parce que l’imagination de la cantatrice et le dur réveil de la réalité sont constamment brouillés. Lachman joue aussi avec les formats et alterne avec une caméra à l’épaule 16 mm pour représenter les moments plus intimes de la vie de Maria (dont une vérité» qu’elle confesse directement en «nous» regardant) et des longs travellings élaborés en 35 mm, plongeant les spectateurs dans son appartement avec une lenteur minutieuse et des couleurs souvent texturées et chaudes.
Ce voyage dans la tourmente du passé et du présent de Maria Callas se base dans la quasi-totalité par sa facture visuelle. Elle nous informe sur le personnage, certes, mais représente également le sentiment que la mort est imminente. Cela fait longtemps que Maria ne vit plus dans le présent, s’engourdissant les pensées avec du Mandrax afin d’oublier ce qu’elle est maintenant.
Avant, Maria était connue sous le nom de «la Callas» grâce à une prouesse vocale qui était jusque-là inconnue dans le monde de l’opéra. Maintenant, elle désire vouloir adopter le nom de Maria, afin d’écrire sa propre histoire, loin de ce que le public attend d’elle.
Angelina Jolie devient Maria Callas
Il y a chez Angelina Jolie un désir de représenter la dernière semaine de Maria Callas avec le plus d’empathie et d’amour possible pour la chanteuse, malgré une pression montante à laquelle elle ne désire pas faire face directement.
L’anxiété est de plus en plus constante, car les journalistes agissent comme de réels vautours autour d’elle et commencent à discuter de son état de santé. D’ailleurs, certains de ses admirateurs ayant l’honneur de la rencontrer ne désirent pas discuter de ses moments les plus grandioses, mais préfèrent se plaindre de l’annulation de ses concerts.
Représentant cette angoisse qui ne fait que s’aggraver, Jolie livre la performance la plus magistrale de sa carrière. Derrière la façade qu’elle adopte pour son majordome Ferruccio (Pierfrancesco Favino) et sa cuisinière Bruna (Alba Rohrwacher) se cache une souffrance qui est lentement révélée par des changements subtils de son faciès. Ce sont ces moments précis qui rendent son jeu si puissant, et même révélateur, car Jolie n’a jamais eu l’opportunité d’être si vulnérable à l’écran, du moins d’une façon aussi personnelle et intériorisée qu’ici.
Elle incarne la raison d’être de Maria, et le film ne fonctionnerait probablement pas si son jeu n’était pas si délicat et humain.
Contrairement à Maestro de Bradley Cooper, qui ne fait que présenter des vignettes de la biographie de Leonard Bernstein sans réelle profondeur, Larraín et Jolie renversent la figure idéalisée de «la Callas» et examinent son intériorité, torturée par ce qu’elle était tout en évitant ce qu’elle est maintenant.
La douleur que Jolie représente sous les yeux de Maria agit comme un réel cri de cœur qui n’est pas perceptible lors du début, mais devient évident quand le quatrième mur est brisé, et les spectateurs sont maintenant témoins de sa dernière confession avant son voyage ultime.
Il est impossible d’oublier ce qu’offre Jolie dans Maria, et il sera d’autant plus impossible de l’ignorer lors de la prochaine saison des Oscars. C’est également sans aucun doute l’œuvre la plus raffinée de la filmographie de Larraín, en particulier lors de sa scène finale. La fin d’une vie est représentée avec un réalisme magique et si lyrique qu’il agit en quelque sorte comme l’apothéose d’une carrière marquée par une emphase sur une facture visuelle raffinée.
Ses deux derniers opus de sa trilogie, quoique visuellement prenants, n’avaient pas le même poids émotionnel derrière les portraits de Jackie Kennedy et Diana Spencer créés par Natalie Portman et Kristen Stewart.
Il aura donc fallu attendre la troisième partie pour avoir droit à une maîtrise quasi totale du langage visuel et émotionnel, ancrée par une Angelina Jolie qui s’efface derrière Maria Callas et qui nous coupe le souffle du début à la fin.
La présentation du film pourrait aliéner des spectateurs qui désirent une biographie plus structurée sur l’artiste. Cependant, ce qu’adopte Larraín dans Maria est totalement à son image: imparfait, parfois jubilatoire, et profondément humain.
Personne n’aurait pu faire mieux pour célébrer la vie d’une des plus grandes figures de l’histoire de l’opéra.
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de la rédaction