ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Victor Diaz-Lamich
Du conte original, Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin n’ont gardé que la prémisse.
Une jeune femme se voit obligée d’épouser son père, tombé amoureux d’elle après la mort de son épouse, qu’il retrouve uniquement dans les yeux de sa fille qui ressemble tant à la défunte. Refusant cette relation incestueuse, la jeune fille, conseillée par son ânesse, fait des demandes impossibles à son père; elle souhaite des robes aux couleurs de ses émotions. Le roi acquiesce à chacune de ses requêtes et réussit à les mener à bien. Lorsque la princesse lui demande une robe faite de la peau de l’ânesse, seule responsable de la richesse de leur royaume grâce à ses défécations d’or, le roi accepte le sacrifice.
Sans autre option, sa fille s’enfuit, couverte du manteau de son amie.
Le duo de créateurs s’est penché sur le passage à l’âge adulte de la princesse pour lui donner une tournure très différente du destin qu’avait tracé Charles Perrault.
Ici, il n’est pas question de prince et de mariage pour sauver Peau d’âne, mais plutôt d’émancipation, d’une liberté acquise et d’une quête de soi qui ne doit connaître aucune limite.
Peau d’âne devra revêtir bien des peaux avant d’accéder à la sienne, à l’essence unique qui la constitue. Ces mues sont effectuées par Sophie Cadieux avec une grâce et une fluidité parfaites, créant l’illusion qu’elle ne change pas de costume, mais bien véritablement de peau.
Les costumes d’Elen Ewing méritent une mention d’honneur: ils sont époustouflants de couleurs, de fanfreluches et de froufrous, parfaitement baroques et surréalistes. Les décors contribuent également à cette ambiance et sont utilisés avec brio: le roi, joué par Éric Bernier, n’apparaît pas sur scène. Sa voix, tantôt menaçante, tantôt larmoyante, nous parvient par un tourne-disque, représentant l’omniprésence du trauma dans la psyché de Peau d’âne.
Sophie Cadieux apparaît sous son meilleur jour dans son interprétation d’une jeune princesse en fuite: elle joue tous les âges de Peau d’âne de manière convaincante; elle chante et danse de telle sorte que rien ne semble hors de sa portée. Éric Bernier, dans les rôles du père et d’une étrange fée marraine qui transcende les genres et les rôles, prouve qu’il peut, lui aussi, tout faire, tout jouer, en plus d’apporter une dose bienvenue d’humour et de légèreté à cette histoire difficile.
Le texte est chargé en dialogues riches, truffés de double sens, de philosophie, de métaphores et d’évocations. Mélangé à un ensemble visuel tout aussi explosif et énigmatique, le spectacle est essoufflant, et l’on en ressort quelque peu déboussolé, tentant en vain de se rappeler de ce qui vient de défiler sous nos yeux.
Peau d’âne est le genre de spectacle que l’on souhaiterait voir plusieurs fois afin de mieux en apprécier toute la richesse et la profondeur. Si cela n’est pas possible, il demeure toutefois très plaisant de se laisser transporter, pour un peu plus d’une heure, dans le tourbillon de folie de Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin.
La pièce «Peau d'âne» en images
Par Victor Diaz-Lamich
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