ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Ospina
En entrant au Rideau Vert le soir de la première, j’ai réalisé que, du haut de mes 24 ans, je ne m’étais jamais vraiment demandé ce que ça voulait dire, «faire le bien». Pour la jeune femme que je suis, ça m’a toujours semblé plutôt évident. Traiter les autres avec respect, être honnête, faire du bénévolat, recycler… Enfin, vous connaissez la chanson.
Je fais partie de ces gens qui croient que nous aspirons tous à devenir la meilleure version de nous-mêmes et, naïvement, j’ai longtemps cru évoluer dans une société qui partageait cette même vision des choses. La vérité, malheureusement ou réalistement, est tout autre. Derrière chaque part de bien se cache une part de mal que l’on ignore volontairement, ou par excès de naïveté.
C’est là le sujet au cœur de ce spectacle, et c’est à travers cette réflexion que repose tout le génie de François Archambault et Gabrielle Chapdelaine.
Un reflet de la vraie vie
Le texte de Faire le bien est divisé en tableaux, chaque vignette représentant une scène de la vie quotidienne où la ligne entre le bien et le mal est mince, floue, voire inexistante. C’est d’ailleurs dans l’aspect très familier de chacune de ces situations que le public se sent concerné et voit l’absurdité et la complexité des réactions humaines. Parce que oui, nous avons tous déjà vécu des situations dans lesquelles on s’est demandé: «Quelle est la bonne chose à faire?»
Interprétées par plusieurs comédiens et comédiennes à la fois, les scènes qui défilent devant nos yeux nous montrent généralement les deux côtés de la médaille.
Dans l’une d’entre elles, une bande d’ados se réunissent et se demandent s’ils doivent avouer à leur amie (Elizabeth Mageren) qu’ils ont vu son copain (Xavier Bergeron) la tromper à plusieurs reprises. D’un côté, trois membres du groupe affirment qu’elle semble vraiment heureuse avec lui, que ce n’est pas de leurs affaires, et que ce qu’elle ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. De l’autre, deux autres membres (Léa Roy et Christophe Levac) sont convaincus que la meilleure chose à faire est de lui dire la vérité.
Dans une autre scène, une mère (Anaelle Boily-Talbot) refuse de connaître les résultats de son amniocentèse, expliquant à son conjoint (Simon Champagne) qu’elle aimera son bébé, peu importe ses enjeux génétiques. Le père, quant à lui, veut absolument connaître les résultats, car il veut se préparer mentalement à l’arrivée de leur nouveau-né et il n’aime pas naviguer dans le flou.
Les dramaturges, et c’est l’un des points forts du spectacle, s’amusent à pousser les situations jusqu’à l’absurde, et l’humour qui en ressort est tout simplement brillant.
Par exemple, un homme met à l’épreuve le consentement d’une femme qu’il veut embrasser en annonçant à l’avance ses gestes dans les moindres détails; lors d’une réunion de travail, un groupe s’essaie à la «parole impeccable», des échanges éliminant tout vocabulaire négatif, ce qui s’avère relever de l’impossible; une responsable des ressources humaines choisit de renvoyer les gens les plus compétents au lieu de ceux qui traînent de la patte, car elle juge qu’ils ont plus de chance de s’en remettre; une bonne samaritaine (Ève Landry) qui aide un quêteux (Mehdi Boumalki) se révèle, surprise!, surtout préoccupée par son image…
Chaque scène nous fait réfléchir, peser les pour et les contre, nous demander si nous sommes vraiment d’aussi bonnes personnes qu’on le croit vraiment.
Que le geste considéré comme positif ait eu des conséquences terribles sur autrui, qu’il ait été posé par intérêt personnel ou par égoïsme, ou qu’il finisse par nuire à notre propre vie, l’existence est dictée par loi de Murphy.
Nous sommes toujours le méchant dans l’histoire de quelqu’un, et tout ce qui peut arriver de mal finira bien par arriver.
Le choc des générations
Le fait que de jeunes comédiens sortis des écoles tiennent la vedette dans ce spectacle n’est pas du tout anodin! En effet, Faire le bien illustre avec brio l’idée que nous vivons à une époque plus polarisée que jamais et que les différences entre les générations y sont notamment pour beaucoup.
Lors d’une une scène particulièrement coup de poing, l’une des jeunes comédiennes (Charlotte Richer) présente un monologue à l’ironie cinglante dans lequel elle parle des bénéfices qu’il y aurait eu sur la Terre si la pandémie de COVID-19 avait décimé tous les baby-boomers.
Encore une fois, c’est là le génie des deux dramaturges: user d’une ironie qui nous pousse dans nos derniers retranchements et qui nous fait rire jaune à la fois!
Deux scènes plus tard, en clôture du spectacle, tous les jeunes comédiens se réunissent sur scène, avec Ève Landry comme chef d’orchestre, pour entamer un monologue choral poignant qui aborde l’hypocrisie des jeunes générations.
Je dois l’avouer, la manière dont les auteurs ont choisi de dépeindre le choc des générations illustre à merveille le propos de la pièce: personne n’est parfait. Chaque humain, chaque génération a ses torts.
Nous vivons à une époque où chacun voudrait avoir raison, où chacun voudrait posséder la science infuse et avoir la main mise sur la boussole morale. Or, ce n’est pas le cas du tout.
Une mise en scène efficace et inusitée
La mise en scène de cette pièce est pour le moins intrigante: des poutres de bois à la verticale, disposées un peu partout sur la scène du Rideau Vert, rappellent étrangement les troncs d’arbres d’une forêt décimée.
Et plus la pièce avance, et plus cette mise en scène prend tout son sens et gagne en efficacité.
Après tout, lorsqu’on parle de la recherche du bien, ne sommes-nous pas tous et toutes un peu perdu∙es, comme dans une forêt trop vaste où la logique semble disparaître?
J’ai sincèrement adoré ce spectacle qui m’a fait rire aux éclats, réfléchir à ce que je souhaite laisser derrière moi, et ouvrir les yeux sur notre désir collectif de toujours bien faire les choses. Donnez-vous le droit d’être imparfait et de rire des travers de notre époque, ça va assurément vous faire du bien!
Le spectacle «Faire le bien» en images
Par David Ospina
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de la rédaction