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Crédit photo : Denis Martin
L’art de cultiver des relations saines dans un milieu exclusivement féminin
Ayant toutes les deux évoluées dans le milieu de la gymnastique, de la danse, du théâtre et de la médiation culturelle, Marie Fannie Guay et Rosalie Dell’Aniello étaient destinées à travailler ensemble.
Leurs chemins se sont tout d’abord croisés lorsqu’elles ont été recrutées comme interprètes dans un projet de théâtre de mouvements acrobatiques. Cette collaboration les a rapprochées, et elles sont devenues des amies. Ensemble, elles ont créé cette production originale, intitulée Où sont tes épaules quand tu donnes des coups de pied.
Rosalie nous a raconté qu’elle songeait depuis longtemps à bâtir un projet autour du soccer féminin. Elle avait été fascinée par une partie à grand déploiement qui avait été diffusée à la télévision. Elle s’est arrêtée sur l’idée de la rareté de ce type d’événement sportif mettant en vedette des femmes, et la puissance de leurs mouvements lui est restée en tête. C’est lors d’un après-midi au parc avec Marie Fannie qu’elles ont discuté de leurs intérêts et que, soudain, une connexion s’est faite afin de relier toutes leurs idées en un concept.
«Marie Fannie et moi, on a grandi dans des contextes similaires; élevées par nos mères, entourées de sœurs, on a fait de la gymnastique. On a grandi toutes les deux dans des milieux très féminins au sein desquels on a eu la chance d’avoir des modèles positifs de sororité et de la vivre depuis qu’on est toutes jeunes», a confié Rosalie.
La puissance du mouvement pour aller plus loin
Dans leur processus de création, les deux artistes ont cherché à offrir une expérience particulière aux spectateur·trices en sollicitant à la fois leurs émotions, leur réflexion et leur envie de bouger à leur tour.
Marie Fannie a détaillé leur idée de départ ainsi: «Quand on a eu envie de parler de la sororité, même si on vient du théâtre, notre réflexe n’était pas d’aller chercher un texte. On voulait plutôt transmettre nos idées par un ressenti, une expérience physique qui bouge, et des images. Par exemple, en répétition, on va amener des sources qu’on a lues sur la sororité et on fait des explorations; on lit des extraits et on essaie de le transposer dans le corps».
Vous vous demandez sans doute la signification de ce titre tout à fait intrigant qu’est Où sont tes épaules quand tu donnes des coups de pied?
Eh bien, les chorégraphes nous ont expliqué en quoi consistait toute leur recherche gestuelle afin de définir ce concept. Puisque la partie de soccer servait de contexte à la pièce, il était évident qu’elles voulaient d’abord mettre l’accent sur le mouvement des jambes en puissance; les torsions, les kicks. Elles se sont même demandé si le haut du corps pouvait être exempté de la chorégraphie.
Cependant, au fil de leurs recherches, cette idée est devenue impossible en raison de la thématique principale: la sororité. On pense alors à se prendre dans nos bras, à appuyer notre tête sur une épaule, à se tenir la main. Le soin se trouve au cœur du spectacle. De plus, les poignées de main symboliques entre les joueur·euses dans le monde du sport se sont révélées comme un incontournable.
Avec ces deux concepts rassemblés, Rosalie précise la question qu’elles se sont posée: «Comment est-ce qu’on peut donner des coups de pied et avancer si on a le poids du monde sur les épaules?», ce qui a mené au titre.
Mis à part des mouvements, elles souhaitaient inclure des fragments de texte sans qu’il s’agisse de dialogue. Elles ont plutôt opté pour le poème de Jeanne Cherhal, intitulé Ce génie, c’est ma sœur, tiré du collectif Sororité, que les interprètes ont récité par bribes.
Dans le dernier tableau, chacune d’entre elles déclare également ses «pour». En répondant aux questions «pourquoi jouer ce match?», «pourquoi se battre?», «pourquoi se soutenir entre nous?», «pourquoi donner ce spectacle-là?», «pourquoi est-ce important la sororité?», des réponses fusent de part et d’autre.
Leurs réflexions ont d’ailleurs fait l’objet de balados enregistrés pour les ateliers de médiation culturelle en amont de la représentation.
Des rencontres significatives au cœur d’un accomplissement
Bien qu’elles connaissent déjà des comédiennes qui auraient pu se prêter au jeu, les productrices ont préféré avoir recours à des auditions afin de vivre la sororité à même la création de l’œuvre.
«Dans les réflexions féministes que j’entends beaucoup autour de moi, il y a cette question bien réelle d’être consciente de tous les féminismes. C’est facile de se dire sororale, mais il y a des femmes dans d’autres pays qui vivent des situations vraiment différentes de la nôtre et qui confrontent peut-être nos valeurs, et elles aussi font partie de notre féminisme. On a voulu vivre ça au sein de l’équipe, alors on a choisi des interprètes de 22 à 65 ans avec des bagages culturels et artistiques différents», a révélé Marie Fannie.
Les artistes ont donc été sélectionnées pour leur talent et leurs différences afin de créer une équipe éclectique où leurs forces et leurs faiblesses se complètent. On y retrouve Sabrina Dupuis, Jessica Gauthier, Tessie Isaac, Sona Pogossian, Jacqueline van de Geer et Marie Eve Quilicot (rôle substitut) en tant qu’interprètes; Kayiri pour la conception musicale et Nadia Essadiqi (La Bronze) pour sa voix.
Une fois rassemblée, les comédiennes ont réellement vécu le concept de devoir s’unir, le temps d’une partie qui demande des efforts physiques importants, dans un but commun, et ce, malgré leurs différences. En dépit des difficultés qu’elles ont éprouvées, une grande complicité s’est créée, et les périodes d’improvisation ont mené à cette prestation hors du commun!
«On veut célébrer! C’est ça qu’on veut mettre sur scène, parce qu’il y en a assez des œuvres cinématographiques ou télévisuelles qui mettent de l’avant la rivalité féminine et la jalousie. Nous, ce n’est pas ça qu’on veut mettre dans le monde», a précisé Marie Fannie sur leurs intentions du spectacle.
L’ouverture à soi-même et aux autres
Quand on les a interrogées sur leur désir de créer pour un public adolescent, elles nous ont rappelé que, contrairement à la plupart des spectacles où les gens achètent des billets par intérêt pour la thématique ou la discipline, les productions jeunesse sont souvent présentées dans le cadre de sorties scolaires. Ceci étant dit, les jeunes n’ont pas nécessairement choisi d’être là. Ils découvriront peut-être quelque chose qui leur est inconnu et ça créera un contact intéressant entre eux et les artistes.
«Pour moi, ce sont les plus beaux publics, parce qu’ils ne sont pas du tout dans la complaisance. On va avoir l’heure juste avec eux. Si le spectacle ne les intéresse plus, ça va se mettre à parler dans la salle. Et au contraire, quand on sent qu’ils sont investis, c’est super riche pour les interprètes sur scène. S’ils ont aimé le spectacle, ils sont en délire! Ils en donnent de l’énergie! […] Je veux qu’ils·elles ressortent avec une expérience qui fait du bien, que le fait d’avoir vu cette solidarité-là sur scène leur donne envie d’en semer plus dans leur vie», a étalé Marie Fannie avec une passion évidente pour son métier.
«Ce n’est pas un public poli et en tant que créatrice, moi je trouve que ça fait du bien. Ils·elles ne suivent pas les conventions, ils·elles ne les connaissent pas nécessairement. Ils·elles sont vraiment drôles, ont beaucoup d’opinions, beaucoup de choses à dire. Il faut juste trouver une manière de les écouter. […] Pour moi, l’interprétation du spectacle peut être très personnelle, très intime et différente pour chaque personne. Je pense que s’il y a une chose à retenir, ce serait cette question: comment exister avec l’autre? Au-delà des genres dans ce spectacle-là, ce qui reste, c’est cette question de choisir de faire équipe et d’avancer ensemble, tout en acceptant les limites et les forces de chaque personne dans l’équipe», a renchéri Rosalie.
Pour conclure, Marie Fannie ajoute un point essentiel au sens de la production: «Les interprètes ne se battent pas contre quelque chose; elles se battent pour quelque chose. […] Je voudrais que les gens puissent repartir avec l’esprit ouvert, à savoir pourquoi ils ont envie de se lever chaque matin, de créer des liens, de physiquement s’engager dans le monde. Pas nécessairement dans un sport. Pour être en action dans notre vie et dans notre monde, nos corps doivent se mobiliser, s’engager. On a envie de donner un élan de “pour”!»
Alors, prenez place chez Tangente et participez à cette ode à la sororité!
Cette réflexion nécessaire vous fera assurément voir la vie sous un œil bienveillant et, qui sait, peut-être vivrez-vous de futures expériences relationnelles toutes aussi enrichissantes, vous aussi!
Procurez-vous vos billets pour Où sont tes épaules quand tu donnes des coups de pied sur le site Web de Tangente au coût régulier de 32 $ (spécial 2 pour 1 applicable), 22 $ (pour les étudiant·es et les jeunes de 30 ans et moins) et 15 $ le dimanche. Aussi, profitez de l’atelier de médiation culturelle animée par Marco Pronovost lors de la représentation du 17 avril, ou encore de la discussion avec les artistes les 20 et 21 avril. Bon spectacle!
*Cet article a été produit en collaboration avec Tangente.
«Où sont tes épaules quand tu donnes des coups de pied» en images
Par Denis Martin, Vanessa Fortin et Daniel Huot