LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Marie Boucher
Suzanne, c’est un plaisir de s’entretenir avec vous! Diplômée en géographie et en sciences de l’éducation, vous avez, au courant de votre carrière, travaillé avec divers organismes gouvernementaux, notamment au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et à l’institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Parlez-nous brièvement de vos champs d’intérêt et de ce qui vous a mené vers le secteur de l’alimentation.
«J’ai fait mes études en géographie à une période où le “retour à la terre”, l’idéalisation de la vie rurale était dans l’air. J’étais intéressée surtout par la géographie économique et j’ai donc choisi des cours à l’intérieur d’un profil de géographie rurale. J’ai alors travaillé comme assistante de recherche à cartographier et interpréter des éléments du paysage en milieu agricole pour un professeur spécialisé dans le domaine.»
«Par la suite, j’ai travaillé à l’Office franco-québécois pour la jeunesse comme responsable du secteur agroalimentaire, pour l’UPA au service de la formation et pour l’Institut agroalimentaire de Saint-Hyacinthe comme responsable de la révision des programmes de formation.»
«Parallèlement, je me suis engagée auprès des agricultrices en menant une enquête qui a exprimé dans l’espace public leurs désirs de changement, ce qui m’a mené à devenir répondante à la condition féminine au MAPAQ. C’est ainsi que je me suis attachée au milieu agricole. Je ne l’ai pas quitté depuis.»
C’est en 1988 que vous avez pris la décision de vous lancer comme consultante, un poste que vous occupez depuis 35 ans! Forte d’une expérience indéniable, vous offrez du coaching auprès de gestionnaires, vous élaborez des plans de formation, des planifications stratégiques, en plus de rédiger des documents de formation, d’information et de soutien à la gestion, entre autres. Qu’est-ce qui vous a motivé à adopter ce tournant à 180 degrés à l’époque?
«La raison la plus fondamentale, je crois, est mon constant besoin d’apprendre. Après quelques années dans un poste, ma motivation baisse. Comme consultante, j’ai à changer de clients, de milieu et de défis régulièrement. On apprend constamment dans ces situations-là.»
«C’est le milieu agricole que je connaissais qui m’a offert mes premiers contrats. Certains de ces clients le sont restés pendant 30 ans. Mais j’ai travaillé aussi pour différents ministères et organismes paragouvernementaux, pour des entreprises privées dans différents domaines ainsi que pour des organismes culturels pour lesquels je travaille toujours.»
«Et j’apprends toujours. Je suis encore très motivée par les projets de mes clients. J’en conclus que mon choix était le bon.»
En parallèle de votre poste à titre de consultante, vous avez développé, au fil des ans, une aptitude à la rédaction, puisque vous avez écrit des livres, des articles et divers documents de formation sur le management, la qualité et l’innovation notamment. Et plus récemment, le 26 septembre, les éditions du Septentrion ont publié Un village dans un fromage: le patrimoine agroalimentaire du Québec en évolution, où vous expliquez les enjeux de l’agriculture actuelle à travers l’histoire de la ferme Louis d’Or et de la Fromagerie du Presbytère de Sainte-Élizabeth-de-Warwick. Votre livre a été préfacé par Fred Pellerin, avec une postface du réputé chef Daniel Vézina, ce n’est pas rien! Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans la rédaction de ce sujet en particulier?
«Je voulais transmettre les connaissances que j’ai accumulées sur les enjeux de l’agriculture. J’ai souvent été en position d’écoute dans les différents postes que j’ai occupés. On apprend souvent plus lorsque l’on doit soi-même prendre position.»
«Les citadins entendent parler de l’agriculture lorsque des problèmes se posent, mais ils ne savent pas vraiment d’où viennent les problèmes et comment on pourrait les résoudre. Et on leur raconte souvent n’importe quoi. Tout ce qui se passe dans le domaine de la diversification de l’agriculture et de la mise en valeur des terroirs m’intéresse beaucoup, et pas uniquement théoriquement. J’y goûte aussi.»
«Je me suis dit que le meilleur moyen d’en parler et de montrer la nécessité de changements en agriculture serait de suivre les étapes du développement d’une ferme familiale. Et il y en avait une qui suscitait mon admiration depuis plusieurs années. Mes premières recherches m’ont appris qu’elle était encore plus intéressante que je ne l’avais cru.»
«Cette ferme doit sa fondation à un défricheur doublé d’un entrepreneur, Joseph Déus Morin, lequel, entre 1868, année de son arrivée à ce qui ne s’appelait pas encore Sainte-Élisabeth, mais Little Warwick, et sa mort survenue en 1915, à l’époque de l’autosuffisance, en a fait une des plus belles fermes de sa région, gagnante de nombreux prix.»
«Aujourd’hui, son arrière-petit-fils, Jean Morin, après avoir converti avec son frère cette ferme laitière en phare de l’agriculture biologique, a créé une fromagerie qui transforme tout le lait produit sur la ferme, maintenant gérée par ses quatre enfants. Les fromages de la Fromagerie du Presbytère sont très réputés et se retrouvent sur les plus grandes tables.»
«Je voulais donner un exemple de réalisation d’un modèle différent, viable, écologique et avantageux pour ses propriétaires, le village, la région, les consommateurs, les paysages et le pays.»
À travers cet ouvrage illustré de plus de 200 pages, vous tentez «de dessiner les valeurs du monde rural et de faire valoir les péripéties de l’industrie fromagère du Québec». Parlez-nous davantage des thématiques que vous avez souhaité mettre en évidence dans ce livre, et on serait curieux de savoir: à quel type de lecteurs et lectrices il s’adresse, d’après vous?
«Je parle de la détermination qu’il faut pour réussir malgré des embûches à réaliser une véritable diversification de l’agriculture, nécessaire à notre sécurité alimentaire. Nos gouvernements la souhaitent, mais soutiennent surtout quelques productions et quelques régions. Si l’on veut que notre petit territoire nordique nous nourrisse, des changements s’imposent.»
«Je parle aussi des choix familiaux, de l’engagement envers sa communauté, de la protection de nos ressources, de l’importance de la formation et de la recherche pour faire des choix avantageux, de la conservation et de la valorisation du patrimoine, toutes choses que la famille Morin sur cinq générations a réussi à maintenir.»
«Bien sûr, je parle des réalisations du milieu rural en général au Québec à partir de situations désavantageuses. Et je rapporte des faits cocasses qui donnent l’ambiance de différentes époques.»
«Il me semble que ça peut intéresser les gens qui aiment découvrir l’histoire de leur pays, ceux qui sont engagés ou qui souhaitent s’engager en agriculture, les épicuriens qui veulent en savoir plus sur les fromages québécois, les citoyens qui se posent des questions sur les enjeux agricoles…»
Et alors, avez-vous une idée sur quoi vous allez travailler au cours des prochains mois? Dites-nous donc au passage si vous avez déjà trouvé l’inspiration pour un prochain livre… ça restera entre nous, promis!
«Peut-être quelque chose de plus personnel…à moins que je me fasse happer par une autre belle histoire du milieu rural!»