LittératureCroisée des mots avec
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Jean, nous avons déjà eu la chance de prendre part à un échange passionnant avec vous en février dernier, plus précisément, le 14 février, lorsque les Éditions David levaient le voile sur votre plus récent roman, Par-delà les frontières. Dites-nous, comment cette œuvre, campée en plein cœur de la Deuxième Guerre mondiale, à Montréal, a-t-elle été reçue par le public?
«J’ose dire qu’elle a intrigué et passionné de nombreuses lectrices et de nombreux lecteurs. Elle les a intrigués parce qu’elle levait le voile, pour la plupart d’entre eux, sur une partie de l’histoire de Montréal qu’elles et ils ignoraient.»
«Quand ils pensent à la Deuxième Guerre mondiale et à ses répercussions sur certains citoyens de notre pays, ils savent que nos concitoyens d’origine japonaise avaient été envoyés dans des camps de travail, tandis que les Germano-canadiens avaient été emprisonnés dans des camps. Mais la plupart ignoraient que les Italo-canadiens avaient aussi subi les conséquences de l’entrée de Mussolini dans la guerre aux côté de Hitler et qu’ils avaient été eux aussi envoyés dans des camps, et notamment à celui de Petawawa, en Ontario.»
«Et puis, mon roman a illustré une vérité éternelle: l’amour abolit les frontières et transcende les différences.»
En mordu d’histoire que vous êtes, vous abordez, à travers ce sixième roman de fiction, des périodes charnières, voire des faits marquants tels que la montée du fascisme en Italie, l’émergence de l’extrême droite, la crise de la conscription 1917-1918 et le débarquement du Royal 22e Régiment en Sicile du 10 juillet 1943 durant la campagne d’Italie. Par curiosité, d’où vous est venu cet attrait pour le roman historique, et pourquoi avoir choisi cette période conflictuelle et bouleversante pour raconter cette histoire d’amour entre un Canadien de souche et une Italienne?
«J’ai effectivement parlé de la crise de la conscription des années 1940 dans ce roman, mais j’avais longuement évoqué la première crise de la conscription pendant la Première Guerre mondiale dans mon roman intitulé Frères ennemis, quand d’illustres Québécois comme Henri Bourassa s’opposaient à l’envoi de militaires canadiens en Europe.»
«Dès mon adolescence, j’ai été attiré par l’Histoire, notamment grâce à ma mère qui m’avait offert Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas quand j’avais douze ou treize ans. Et les aventures de d’Artagnan, d’Athos, de Portos et d’Aramis m’avaient plu et ému.»
«J’avais aussi découvert le XVIIe siècle en France et, depuis lors, l’Histoire est devenue pour moi une obsession, car c’est pendant les moments charnières de l’aventure humaine que nous percevons mieux la résilience des hommes et des femmes, ainsi que le rôle essentiel de l’amour.»
Il n’y a pas à dire, en tant que lecteurs et lectrices francophones, nous avons la chance inouïe d’apprivoiser, depuis de nombreuses années déjà, des voix formidables issues de l’immigration telles que la vôtre. En effet, vous êtes né au Caire en 1942, et vous avez émigré au Canada en 1968. Parlez-nous de ce choix que vous avez fait de venir vous établir à des milliers de kilomètres de votre lieu de naissance, et surtout de ce choix conscient d’avoir choisi la langue française comme moteur d’expression.
«La culture française a joué un rôle important en Égypte pendant le XIXe et le XXe siècles en Égypte, après l’expédition militaire du général Bonaparte dans mon pays de naissance. Et ma mère avait appris le français dans une école du Caire et m’a donc inscrit dans une école francophone pour garçons où mes profs m’ont non seulement appris cette langue, mais incité à explorer sa culture et son rayonnement.»
«En 1968, j’avais un emploi intéressant au Caire, mais le pays s’enfonçait alors dans une période de dictature et d’État policier. J’ai donc décidé d’émigrer, et le choix n’a pas été difficile: j’ai choisi le Canada, parce que je savais que j’allais pouvoir y vivre en français.»
Malgré le fait évident que la langue anglaise prédomine dans un pays aussi vaste que le Canada, qu’on se le dise, la littérature franco-ontarienne a toute sa légitimité dans le milieu littéraire francophone, bien sûr au Canada, mais aussi à travers toute la francophonie. Auriez-vous la gentillesse de nous présenter trois auteurs ou autrices de l’Ontario français et leurs œuvres, afin de donner un bel avant-goût de nos talents francophones à nos lecteurs et lectrices?
«Oh la la! Vous me demandez une tâche presque insurmontable.»
«Vous avez raison: notre littérature franco-ontarienne mérite d’être connue, appréciée et aimée non seulement dans notre province, mais également dans notre pays et dans le monde francophone. Vous me permettrez de vous présenter trois autrices qui ont marqué notre littérature:
- Nicole Champeau, dont les ouvrages vibrent de l’amour qu’elle porte à son coin de pays, et le ressuscitent dans des pages pleines d’émotion. J’en mentionnerai deux: Pointe-Maligne, l’infiniment oubliée et Niagara, la voie qui y mène. Madame Champeau a gagné le Prix du Gouverneur général en 2009;
- Marguerite Andersen nous a malheureusement quittés l’année dernière. Parmi ses ouvrages qui ont même attiré l’attention de critiques québécois, mentionnons La mauvaise mère, De mémoire de femme et Le Figuier sur le toit. Elle a remporté ou été finaliste de plusieurs Prix, dont le Prix du Gouverneur général, le Prix Trillium et le Prix des lecteurs Radio-Canada;
- Andrée Christensen a publié maints romans, dont La mémoire de l’aile et Depuis toujours, j’entendais la mer. L’un de ses plus récents, L’isle aux abeilles noires, est un chef-d’œuvre en prose. Elle aussi a remporté maints prix littéraires.
«J’aurais voulu ajouter des dizaines d’autres noms d’auteurs et d’autrices dont j’ai aimé et admiré les œuvres.»
Le 12 septembre prochain, à 19 h, vous serez le premier invité de l’animateur Hugues Beaudoin-Dumouchel à l’occasion de la causerie littéraire gratuite Croisée des mots, présentée par l’AAOF et ses partenaires. Chaque mois, via la plateforme Zoom, les amateurs et amatrices de littérature franco-canadienne découvriront, en direct de leur chez-soi, de nouveaux visages de l’Ontario francophone. Qu’auriez-vous envie de dire, comme mot de la fin, pour convier le public à cette rencontre-discussion d’une heure?
«Comme je l’ai dit et redit ci-haut, nous avons l’extraordinaire chance d’avoir des dizaines d’écrivains dont les œuvres nous touchent, nous font rire, nous font pleurer, font palpiter nos cœurs.»
«Nous sommes tout le temps sollicités par les médias à découvrir des œuvres québécoises, françaises et américaines (en traduction). Allons défricher le terrain de notre propre littérature et découvrir mille sentiers, mille plaisirs dans la jungle luxuriante des ouvrages de nos auteurs et autrices d’Ottawa, de Sudbury, de Toronto, Windsor, Alexandria, de tant d’autres de nos beaux villages et de nos villes vibrantes.»
«Et cette exploration se fera notamment par notre écoute de la Croisée des mots…»