ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Ospina
Emmanuel Schwartz a un talent singulier: celui de transformer ses tourments en matériel théâtral hautement inhabituel.
Il opère ici un impressionnant tour du chapeau, mettant en scène et interprétant, seul sur scène, un texte très personnel dont le propos, plutôt fataliste, est noir comme le sang des bêtes.
Il y a longtemps que le mal de vivre imprègne et inspire son œuvre, certes, mais ça ne veut pas dire que cette création est dépourvue d’humour. À travers sa forme déroutante et les multiples couches de mises en abîme, quelques observations grinçantes et justes font office de rayons de soleil perçant à travers le nuage qui plane au-dessus de l’ensemble.
Même si Schwartz se complaît parfois dans ses tendances dépressives, il ne tombe jamais dans le lieu commun, et approche son sujet avec un angle rafraîchissant et, disons-le, saisissant.
En évoquant des souvenirs liés au tournage d’un film de vampires, la pièce elle-même prend une saveur de film d’horreur existentiel, alors que l’acteur se perd dans les nombreux personnages qu’il a interprétés au fil des productions, croit apercevoir son double dans les reflets du mobilier urbain, ressasse des souvenirs douloureux, et tente – en vain – de résister à l’appel de sa toxicomanie.
Voyage au bout de la nuit
Schwartz est candide et transparent, et n’essaie pas de se donner le beau rôle (au contraire) ou de dissimuler ses échecs, les utilisant plutôt pour marquer un certain progrès dans sa maturité artistique.
La vie lui donne une nouvelle chance, remet sur son chemin un metteur en scène de génie avec qui il s’était brouillé, ou une actrice dont il s’est jadis séparé. En profitera-t-il pour se réconcilier, ou pour faire une scène? Le texte à clé fonctionne même si on ne devine pas de qui il s’agit.
Sur scène, Emmanuel Schwartz prend toute la place, déambulant avec la douleur du monde sur les épaules, entouré d’une structure industrielle avec laquelle il joue pour faciliter la projection d’images de synthèse de son double, ou de citations choisies tirées du film auquel il a pris part. On se laisse volontiers ensorceler par l’effet que provoquent ses mots, élevés par la musique atmosphérique du prodigieux Cédric Dind-Lavoie.
Cette réflexion sur les morceaux d’âme qu’un acteur perd en pratiquant son art était déjà entamée dans L’exhibition, une création collective de 2019 à laquelle participait l’acteur avec ses comparses Francis La Haye et Benoit Gob.
Le partage en est donc une suite logique, une élaboration jouissive sur la soif lancinante de reconnaissance et de validation dont souffre l’artiste, une tasse de thé amer qu’on avale goulument en demandant un refill.
La pièce «Le partage» d’Emmanuel Schwartz en images
Par David Ospina
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de la rédaction