LittératureL'entrevue éclair avec
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Ronald, vous qui êtes un Docteur en ethnologie de l’Université Laval, voudriez-vous nous raconter d’où vous est venue la passion pour cette discipline, et qu’est-ce qui vous a mené à vous dévouer plus spécifiquement à l’étude de l’Acadie – son histoire, ses traditions, sa culture?
«Mon intérêt pour l’ethnologie remonte à l’adolescence. J’ai fait le tour de l’Irlande sur le pouce à 18 ans et, après avoir pris contact avec ce pays aux riches traditions folkloriques, je me suis interrogé sur mes propres racines culturelles.»
«D’ailleurs la question de l’identité m’a toujours préoccupé, comme j’ai grandi dans une famille à moitié anglophone dans un milieu bilingue au nord de Montréal. J’ai alors appris qu’il existait à l’Université Laval un programme d’études qui s’intitulait à l’époque Ethnographie traditionnelle. Je suis donc parti pour Québec et c’est là que j’ai découvert la culture acadienne. Afin d’illustrer les sujets de leurs cours, mes professeurs puisaient constamment dans les collections des Archives de folklore et d’ethnologie, où étaient conservés des milliers d’enregistrements de chansons, de contes et de légendes acadiennes rassemblés par le professeur Luc Lacourcière et son équipe.»
«Une fois mon baccalauréat terminé, j’ai poursuivi les études au niveau de la maîtrise, et c’est à ce moment-là que le professeur Jean-Claude Dupont m’a mentionné l’existence d’un poste vacant dans le secteur Folklore du Centre d’études acadiennes à Moncton. Je suis donc parti pour l’Acadie et j’y suis toujours depuis plus de 40 ans.»
Le 11 octobre, vous avez fait paraître une édition critique du livre Contes d’Acadie de Thomas LeBlanc – un journaliste et folkloriste acadien du début du XXe siècle – aux éditions du Septentrion. En quoi ce «personnage unique dans l’histoire littéraire acadienne» a-t-il piqué votre curiosité? On aimerait connaître ce qui, dans son histoire ou son parcours, a retenu votre attention!
«Dans les archives où j’ai travaillé à Moncton, toute une section était réservée à l’énorme collection de chansons traditionnelles acadiennes recueillies par Thomas LeBlanc. Je consultais souvent cette collection afin de répondre à des demandes d’information sur des chansons spécifiques. Je savais aussi que le plus ancien enregistrement sonore d’un conte acadien avait été réalisé auprès de Thomas LeBlanc en 1941. Il avait alors raconté la version acadienne de Cendrillon, La petite Cendrillouse.»
«Comme je m’intéressais de plus en plus aux contes traditionnels, j’ai pensé examiner le fonds documentaire de Thomas LeBlanc pour voir s’il contenait d’autres contes, en plus de celui de la Cendrillouse. Et c’est là que j’ai découvert que LeBlanc avait pris en note des tas d’informations sur le parler acadien, l’histoire régionale, les croyances surnaturelles, les coutumes folkloriques et aussi sur les contes et légendes.»
«Lorsque j’ai parcouru toute la documentation accumulée par LeBlanc au début du XXe siècle, j’ai tout de suite compris que ses travaux avaient une grande importance pour le peuple acadien. Je connaissais à cette époque le vieux document archivistique intitulé Contes d’Acadie, mais je ne soupçonnais pas encore que son auteur pouvait être Thomas LeBlanc lui-même.»
Et alors, comment avez-vous réussi à l’identifier comme étant l’auteur du manuscrit des Contes d’Acadie – livre initialement considéré comme une œuvre anonyme, et qui a notamment inspiré le romancier Régis Brun?
«Cela ressemble un peu à un roman policier où le lecteur est confronté à des énigmes qui finissent toutes par se résoudre quand la vérité est révélée. Contes d’Acadie avait piqué la curiosité de bien des chercheurs depuis la parution en 1974 du roman La Mariecomo, où Régis Brun avait puisé une partie de son inspiration dans le manuscrit anonyme.»
«Dans son Histoire de la littérature acadienne, Marguerite Maillet nous avait fourni un indice en mentionnant que la table des matières du manuscrit inachevé avait été retrouvée dans le fonds archivistique de Thomas LeBlanc. Elle croyait pourtant que l’auteur devait être un prêtre acadien du début XXe siècle comme le père André-T. Bourque. Pourtant, Contes d’Acadie ne ressemblait pas du tout aux écrits des auteurs acadiens comme Bourque, qui présentaient une vision idéalisée du passé, où l’Église catholique veillait constamment sur les bonnes mœurs.»
«Au Centre d’études acadiennes, un archiviste a finalement réussi à identifier Thomas LeBlanc comme étant l’auteur d’un dossier constitué de notes historiques diverses. En examinant ce dossier, j’ai trouvé plein de références à des faits légendaires qui se retrouvent dans Contes d’Acadie. La preuve de la paternité a rapidement été établie par la suite.»
Pourriez-vous nous en dire plus sur le travail que vous avez effectué afin d’en faire une édition critique, et ainsi d’inscrire les cinq textes qui constituent le manuscrit dans leur contexte historique et culturel? On pense entre autres au «glossaire des termes acadiens traditionnels utilisés par l’auteur» que vous avez ajouté – sûrement pour permettre au lecteur de mieux saisir les nuances de son œuvre, n’est-ce pas?
«La rédaction d’une édition critique est un travail méticuleux. J’ai eu la chance de pouvoir m’inspirer de bons modèles, comme l’édition critique que François Ricard a consacrée à La Chasse-galerie et autres récits d’Honoré Beaugrand.»
«Cela m’a aidé dans l’établissement du texte et dans la présentation des contes, mais Contes d’Acadie présentait un défi particulier, car j’avais devant moi un manuscrit incomplet et inédit. Il renfermait une copie au propre de cinq contes, mais il est probable que l’auteur aurait effectué une dernière révision de l’ensemble après l’ajout des textes manquants. Je pouvais me permettre de corriger quelques fautes grammaticales et orthographiques, croyant que LeBlanc lui-même aurait corrigé les coquilles avant d’envoyer le texte à l’imprimerie.»
«En même temps, je devais veiller à ne pas remplacer des termes acadiens par d’autres issus du français contemporain. C’est pourquoi, par exemple, le mot “écopeau” n’est pas remplacé par “copeau” pour désigner une minuscule pièce de bois.»
«Enfin, il était important de placer Thomas LeBlanc dans son contexte historique en Acadie afin d’expliquer pourquoi cet individu, qui était à la fois un écrivain doué, un chercheur habile et un intellectuel avant-gardiste, avait été ignoré dans son milieu et oublié après sa mort.»
On jase, là! Si vous aviez une machine à remonter le temps et que vous pouviez vous entretenir avec Thomas LeBlanc autour d’un bon repas, de quoi aimeriez-vous parler avec lui et pourquoi?
«Je lui demanderais d’abord de me parler de la famille de sa mère, les descendants du légendaire Gros Jean Doiron, le géant acadien. En tant qu’ethnologue, je serais très intéressé de connaître la façon dont les anciennes chansons traditionnelles ont été transmises dans sa famille. D’un point de vue plus personnel, je lui demanderais pourquoi il n’a jamais réussi à terminer ses études au Collège Saint-Joseph.»
«J’aimerais qu’il me parle des obstacles qu’il a connus et des personnes qui l’ont soit aidé ou nui. Après quelques verres, on aborderait peut-être aussi la façon dont il a été stigmatisé en tant qu’enfant illégitime, grandissant dans un village acadien où tout le monde connaissait les secrets de famille des autres, et on aurait pu parler de comment, plus tard, on a continué à se méfier de lui. Je lui demanderais aussi pourquoi il a décidé de tenter sa chance dans le cinéma américain, rédigeant des ébauches de scénarios de films signés “Tom White”.»
«Finalement, on pourrait avoir une bonne discussion au sujet du nationalisme acadien, lui qui était si fier de ses origines et qui a finalement été rejeté par les membres de l’élite acadienne qui se sentaient menacés par son grand talent.»