LittératureDans la peau de
Crédit photo : David A. Land
Rumaan, c’est un réel plaisir d’échanger avec vous aujourd’hui! Vous vivez à New York où vous travaillez entre autres pour The New Yorker, The New York Times et The New Republic. En parallèle, vous animez deux balados pour le média de gauche et progressiste Slate.com. Quand avez-vous réalisé que votre passion pour l’écriture pourrait devenir, un jour, votre emploi à plein temps?
«D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un écrivain. C’est ce que je disais aux adultes quand j’étais un petit garçon (ceux-là, ils adorent poser cette question aux enfants!) Ainsi, ce que j’ai ressenti à 5, 7 et 10 ans avait probablement plus à voir avec le fait que je lisais, plutôt qu’avec le fait que je ressentais un quelconque élan à faire de l’art.»
«Je ne pouvais pas avoir compris, à cet âge-là, ce qu’être un auteur signifiait, mais je savais que les livres contenaient tout ce que je trouvais excitant dans ce monde, et qu’une vie à proximité des livres était la chose la plus merveilleuse que je puisse imaginer. Le fait que ce soit arrivé – car l’écriture est maintenant mon emploi à temps plein – me donne le sentiment d’être extraordinairement chanceux.»
On vous connaissait de réputation comme étant celui qui a écrit That Kind of Monster, un roman publié en 2018 dans lequel vous offrez «une étude approfondie et parfois dérangeante de l’adoption transraciale», pour reprendre les mots de Katy Waldman, au sein d’une critique publiée en juin de la même année pour The New Yorker. Qu’est-ce qui vous a mené, en regard de votre parcours de vie et de vos observations personnelles, à écrire sur ce sujet en particulier?
«Je suis deux fois père adoptif, alors cette expérience a servi d’inspiration naturelle pour l’écriture de cette histoire. Je suspecte la plupart de mes expériences de vie d’avoir nourri tous mes livres, même si c’est parfois difficile pour mes lecteurs de me reconnaître dans mes romans, puisque aucun d’entre eux ne contient des personnages qui me ressemblent réellement.»
«La plupart des écrivains de fiction que je connaisse évitent la question du rôle de l’autobiographie à travers leur pratique, soit parce que ce n’est pas intéressant en soi, soit parce qu’ils souhaitent protéger les sentiments des gens autour d’eux, ou simplement parce qu’ils n’écrivent pas du tout à propos d’eux.»
«Mais bien sûr, la fiction contient une part de soi en tant qu’auteur, car cette partie de nous-même, c’est tout ce que nous avons. Cela dit, je n’ai jamais été piégé en compagnie d’étrangers pendant une crise mondiale, mais mon plus récent livre est profondément autobiographique quand même!»
Votre plus récent roman, Le monde après nous (“Leave the World Behind” dans sa langue originale anglaise), finaliste du National Book Award 2020, a été traduit et publié en français par les Éditions du Seuil. Nous avons appris que Netflix produira l’adaptation de ce roman acclamé et qui sera réalisé par nul autre que Sam Esmail, créateur de Mr. Robot. Les oscarisés Julia Roberts et Mahershala Ali y tiendront la vedette. Comment avez-vous réagi face à cette excellente nouvelle? Peut-être pourriez-vous nous résumer cette histoire pour donner l’eau à la bouche à nos lecteurs?
«Sam a été l’un des premiers lecteurs avec lequel j’ai pu discuter de ce livre. Il a lu une copie avant sa publication officielle, et on a eu l’appel téléphonique le plus adorable qui soit à propos de mon travail et du sien.»
«C’était en 2020, une période durant laquelle la vie normale avait été largement suspendue. Donc, comme tout le monde, je me sentais assez seul, en quarantaine, et nerveux à propos de mon livre et de la façon dont il l’aurait perçu. Ça a été un plaisir de simplement parler à quelqu’un de ce dernier, et bien sûr très rassurant d’entendre de sa bouche qu’il l’avait aimé, au final; et évidemment, c’était d’autant plus significatif d’entendre ça de la part d’un artiste aussi doué que Sam Esmail.»
«Tout ce qui s’est passé depuis la conversation initiale – un scénario magnifique écrit par Sam lui-même, le recrutement d’une distribution extraordinairement talentueuse d’acteurs et de techniciens, et, peu après, une superbe adaptation filmique – a été un plaisir immense pour moi.»
Dans ce roman aux allures de fin du monde, vous avez essayé de capturer la panique générale et l’anxiété générée par une panne de courant et des réseaux des communication dans tout New York. Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion d’écrire un récit où l’ambiance globale est très stressante?
«Je voulais écrire à propos de ce qui était contemporain. On était en 2018 et 2019, et à ce moment-là, je réfléchissais à la politique américaine actuelle, ainsi qu’au sentiment que j’éprouvais quand je jetais un oeil à l’écran de mon téléphone en essayant d’y capter le monde autour de moi. Je suppose que le but était, plus que n’importe quoi d’autre, de saisir l’expérience de la psyché individuelle dans le monde moderne.»
«Cette sensation d’être dépassé par celui-ci, d’être exalté, effrayé, déconcerté et tout le reste; ce sont des sentiments et émotions qui peuvent découler de la vie d’aujourd’hui, et peut-être qu’il en a toujours été ainsi, d’ailleurs.»
Dites-nous en plus sur vos projets à venir: êtes-vous déjà en train d’écrire un nouveau roman ou un nouvelle? Sinon, comment occupez-vous vos temps libres? On est un peu curieux, on l’avoue!
«Je viens juste de terminer un nouveau roman, même si je dois avouer que ces derniers nécessitent un tel nombre de brouillons qu’il est impossible d’utiliser un mot tel que “fini” avant que ladite chose soit publiée. À ce stade-ci, je n’ai toujours pas une idée précise de quand ça arrivera.»
«Je travaille aussi sur une grosse critique, où je me penche sur deux livres d’un jeune auteur américain. Mon autre obligation professionnelle est de lire (quel merveilleux travail, non?)»
«Le temps que je ne passe pas à lire et à écrire est dédié à prendre soin de mes enfants. Ils ont 13 et 10 ans maintenant, et ils ne sont pas aussi demandants qu’ils ont pu l’être quand ils étaient plus petits, mais tout de même, mes journées sont néanmoins bien remplies.»