LittératurePolars et romans policiers
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«Proies» d’Andrée A. Michaud · Québec Amérique · 338 pages
Ça me fait vraiment plaisir d’ouvrir ce dossier de suggestions de lectures estivales avec une recommandation québécoise: Proies d’Andrée A. Michaud.
Ce nom vous dit quelque chose, n’est-ce pas? En tout cas, moi je l’ai entendu à maintes reprises depuis la publication de Bondrée, fort d’un Prix du gouverneur général en 2014 et du prix Arthur-Ellis du roman policier en langue française l’année suivante.
Avec ce récent roman paru aux Éditions Québec Amérique, j’ai en tout cas apprivoisé une plume singulière à laquelle la majorité des auteurs de romans à sensations ne m’avaient pas encore habitué, c’est-à-dire une écriture riche et joliment tournée, la plupart du temps saisissante et glaciale. Et c’est sans oublier ces dialogues enfouis à travers l’écriture, un effet stylistique qui, à mon sens, rend ce récit encore plus anxiogène qu’il l’est déjà.
C’est que dans l’univers d’Andrée A. Michaud, le ciel est toujours gris foncé jamais bleu clair. Et s’il y a des oiseaux qui chantent tout autour, c’est pour avertir qu’un malheur est à venir…
De fait, dès les premières lignes, on le sait déjà que ça va mal virer: «Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait comme d’une année de deuil et de stupéfaction, trois adolescents de Rivière-Brûlée, un village perdu parmi les collines, avaient quitté la maison familiale sitôt après le déjeuner, aussi excités que s’ils partaient escalader l’Everest, pour aller camper près de la rivière qui avait donné son nom à la localité […]».
Pas besoin de vous en révéler plus; la table est mise dès la première page.
Je l’avoue, cette histoire que j’oserais qualifier d’effrayante et de troublante m’a hanté un bon moment. Et le plus fou: je sais exactement pourquoi. C’est parce que l’élément déclencheur est si bête, imprévisible et réaliste que je me dis qu’un événement aussi tragique, ça peut arriver à n’importe qui, à vous comme à moi.
Je n’en dis pas plus, de peur de trop vous en révéler.
Au fait, vous avez vu Deliverance, un film de 1972 avec Jon Voight et Burt Reynolds? On est dans ces eaux-là avec Proies.
Jamais vous n’aurez ressenti autant de compassion pour ces gens qui souffrent et qui n’ont qu’un seul souhait: se venger du mal.
Appréciation: ⭐ ⭐ ⭐ ⭐ 1/2
«Le nouveau» de Keigo Higashino · Actes Sud, collection Actes noirs · 330 pages
Cette fois, je vous emmène à des milliers de kilomètres du Québec au pays du soleil levant, là où il y a de véritables joyaux nippons à découvrir.
Et ici je ne parle pas de la cuisine japonaise ni des vêtements traditionnels, mais bien de littérature. Parmi leurs monuments, il y a bien sûr Haruki Murakami, qu’on connaît bien et que j’adore par ailleurs, mais on trouve aussi Keigo Higashino, dont on a la chance de connaître les traductions françaises depuis 2010 chez Actes Sud sous les collections Babel et Actes noirs.
Pour être franc, j’ai toujours aimé la façon dont ce dernier twist ses intrigues policières – du moins avec ses romans Le dévouement du suspect X et Un café maison, notamment – car avec lui, exit le carcan tout tracé du roman policier typique: on connaît déjà notre homme, l’assassin.
Ce qu’il reste à découvrir, c’est son mobile. Ce qui l’a poussé à commettre l’irréparable et la façon dont il s’y est pris. Agatha Christie n’y avait pas pensé à ça!
Dans Le nouveau, titre énigmatique qui ne sert qu’à qualifier ce drôle d’énergumène qu’est Kaga Kyōichirō, l’inspecteur adjoint au commissariat de Nihonbashi, Higashino a misé la plupart de ses cartes sur son protagoniste, un personnage pour le moins coloré, que j’oserais qualifier de fin finaud, qui est prêt à toutes les manigances possibles pour parvenir à ses fins et mettre la main au collet du coupable.
Et surtout, il souhaite plus que tout apporter du soutien aux proches de la victime en leur offrant la version des faits.
Mais avant d’aller plus loin, une mise en contexte s’impose. Cette histoire tourne autour de l’assassinat d’une femme, Mitsui Mineko, retrouvée morte étranglée par une amie le 10 juin dans son appartement de Kodenmachō. Ce décès tragique laisse toutefois perplexes les inspecteurs autant que les proches de la victime, puisqu’aucun d’entre eux n’a idée de ce qui a bien pu pousser une personne à vouloir s’en prendre à cette mère célibataire et sans histoire.
C’est là que Kaga Kyōichirō entre en jeu. Et ce personnage, frais comme un lardon, qui frise par moments l’agacement chez les autres tellement il suspecte tout – il a en plus ce don (ou cette drôle de manie, c’est selon) d’être partout à la fois! – y est pour beaucoup dans ce récit plutôt passionnant et bien mené.
On sent bien, au fil des pages, que l’auteur a travaillé fort pour faire languir même les esprits les plus intuitifs. Mais là où il m’a étonné, c’est qu’il a révélé une part de la vérité à ses lecteurs, et ce, avant même que ses inspecteurs soient eux-mêmes au courant.
Mais en bon magicien, il a su cacher son jeu pour que la vérité passe sous nos yeux sans même qu’on s’en aperçoive.
Appréciation: ⭐ ⭐ ⭐ ⭐
«Le jour des cendres» de Jean-Christophe Grangé · Albin Michel · 366 pages
Quel plaisir de renouer avec la plume de Jean-Christophe Grangé, un romancier français qui m’a conquis à une certaine époque – 2003, pour être exact – avec L’empire des loups, un roman saisissant et fort d’une twist que je n’ai jamais vu venir, comme si elle jaillissait d’une boîte à surprises. Un titre à retenir, je vous le dis.
Même s’il n’a jamais mis sur «Pause» son marathon d’écriture depuis et qu’il m’a tout de même captivé avec Kaïken (2012) et Congo Requiem (2016), j’avoue avoir eu bien du fun à partir en catimini dans la communauté des anabaptistes, au cœur d’une intrigue en huis clos où on a l’impression – et cette sensation est d’autant plus exacerbée par leur mode de vie unitaire et sûrement aussi par le fait que les Émissaires parlent un dialecte vieux du XVIe siècle! – de n’avoir pas été invité à la fête.
Sauf que la fête est finie, visiblement.
En tout cas, ce n’est pas pour rien qu’Ivana, la petite favorite de l’inspecteur de la police de Paris Pierre Niémans, s’infiltre au sein de ce clan asocial à titre de saisonnière pour participer aux traditionnelles vendanges tardives et, par le fait même, en savoir plus sur la mort de Samuel Wending, survenue abruptement dans une église de la communauté. Accident bête? Sabotage? Meurtre?
Dur de savoir, surtout que ces Émissaires sont peu commodes et peu enclins à se confier à la police…
C’est ainsi qu’une enquête en double voie s’ouvre pour nous révéler au compte-gouttes des indices qui confirment de plus en plus la piste d’un crime. Mais quel sombre secret cache ces anabaptistes?
Maintenant que j’ai connu la consécration en matière d’histoire d’horreur avec Paranormal Activity: Next of Kin, un film effroyable d’un suspense intenable dont l’intrigue se déroule chez les amish, il faut dire que j’étais en quelque sorte immunisé en arrivant chez les anabaptistes!
Grangé, il faut l’avouer, ne tire pas son jus à l’idée de faire sursauter ses lecteurs. Sa force réside plutôt dans sa capacité à maintenir avec doigté un suspense qui évolue en crescendo jusqu’à l’effet surprise qui annonce une finale en coup de poing.
Avec Le jour des cendres, j’ai découvert un récit captivant dont la révélation finale s’est toutefois avérée un brin prévisible pour un fin finaud comme moi.
Mais reste que l’écrivain tire quand même bien son épingle du jeu avec des personnages à la psychologie bien esquissée et un lieu inhospitalier qui accentue le caractère imprévisible de l’intrigue.
Appréciation: ⭐ ⭐ ⭐ ⭐
«Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs» de Simon Predj, Charles Beauchesne et Pierre Bunk · Les Éditions de l’Homme · 265 pages
Un titre pareil, ça sonne dark, n’est-ce pas? C’est en tout cas du Simon Predj tout craché, celui-là même qu’on retrouve derrière l’émission-concept L’Aftershow de Predj sur Frissons TV et le balado à succès Ars Moriendi. Depuis longtemps fasciné par l’horreur et le surnaturel, que ça éclabousse des giclées de sang ou que ça crée un sentiment de malaise chez lui, il puise une fascination pour le Mal qui pousse l’homme à commettre des actes innommables.
Ce n’est donc pas si surprenant que ça que Simon Predj, l’instigateur de ce récent projet aux Éditions de l’Homme, se soit associé à l’humoriste Charles Beauchesne le temps de ce projet d’écriture, avec lequel, on s’en doute, il partage la même flamme dévorante pour l’étonnant, l’inexplicable et l’insaisissable.
Là, vous vous demandez qui est Pierre Bunk, celui qui complète le trio? J’ai eu le bonheur de faire sa rencontre lors d’une entrevue publiée le 29 avril dernier, et c’est d’ailleurs lui qui a gribouillé avec doigté les scènes effrayantes qui parsèment les pages de ce livre. Regardez, si vous osez!
C’est pourquoi Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs est bien plus qu’un recueil de nouvelles: c’est aussi un livre qui flirte avec le roman graphique – en effet, les avatars de Simon Predj, Charles Beauchesne et Pierre Bunk discutent avec philosophie autour d’un feu sur l’abîme et ses profondeurs inexplorées entre chacune des histoires.
En parallèle, Predj et Beauchesne, qui se font aller la plume, endossent leur rôle d’auteurs pour nous raconter des histoires horrifiques basées sur des «faits réels» où, et il faut ici apposer des guillemets, ils ont beurré épais en fiction – mais ça, vous le constaterez en lisant, à la toute fin, la section «Le vrai du faux».
Finalement, on trouve aussi une section «Détail intéressant», où Beauchesne nous partage des faits et légendes horripilantes qui ont eu lieu aux quatre coins du globe. Encore une fois, il faut en prendre et en laisser, car tout n’est pas avéré.
Alors, est-ce que ça vaut le coup de se lancer? Oui, assurément. J’ai lu ce livre avec avidité, même s’il n’est pas aussi effrayant que La mort en héritage: Histoires vraies et insolites de meurtres en famille de Simon Predj, publié l’année d’avant.
Personnellement, j’ai trouvé certaines histoires plus punchées que d’autres, notamment Le phare d’Eilean Mor, où trois gardiens de phare disparaissent sans laisser de traces lors d’une tempête en Écosse.
J’avoue m’être ennuyé un brin avec Les diablotins du col, l’histoire qui clôture l’ouvrage. Le fil conducteur tient moins en haleine, j’ai trouvé que la narration à la première personne détonnait avec les autres histoires, et il n’y a pas vraiment de coup de théâtre, tellement on connaît déjà le fin mot de l’histoire (un sombre destin attend les dix membres d’une expédition risquée sur les pentes de l’Oural, en pleine Sibérie, durant l’année 1959).
Qu’à cela ne tienne, si vous êtes fan de récits où la finale n’est jamais joyeuse, ce livre est pour vous, car il n’y a pas grand survivants… c’est moi qui le dis!
Appréciation: ⭐ ⭐ ⭐ 1/2
«Silo» de Hugh Howey · Actes Sud · 557 pages
En réalité, la brique que je tiens à bout de bras au moment d’écrire ces lignes fait 1 532 pages, car elle contient l’intégrale de la série à succès de Hugh Howey, initiée avec Silo, une nouvelle devenue quelque temps plus tard un best-seller international, puis Silo origines et Silo générations, lesquels achèvent ce triptyque d’allure post-apocalyptique où le monde tel que nous le connaissons n’existe pas (ou plus, c’est selon).
Comme mes vacances estivales se poursuivent et que je plonge à peine dans le deuxième chapitre (avec délectation, soyez-en assuré.e), je vous parlerai uniquement du premier volet, publié en 2013 dans la collection Babel d’Actes Sud. En espérant que vous ne m’en tiendrez pas rigueur!
Ainsi, campée dans un espace-temps qui nous est totalement inconnu, l’histoire de Silo s’ouvre sur les derniers jours du shérif Holston, lequel, pour avoir osé manifester son désir de partir après la disparition de sa femme Allison, vivra tel un condamné à mort son dernier jour dans le silo #18 avant de suivre la trace des éclaireurs avant lui et sortir, dans un habit qui rappelle celui d’un astronaute.
Le seul hic, c’est qu’une mort assurée l’attend là-bas, à l’extérieur, et il n’y a pas de retour en arrière possible…
Comme dans toute bonne société qui se respecte – ou qui ne se respecte pas tant que ça au final – un éventail de personnages fourmillent dans Silo pour constituer un microcosme à part entière, avec sa hiérarchie, son système de lois, sa gouvernance (incarnée ici par le DIT) et ses terribles insurrections…
Car tous les 20 ans, une révolte majeure éclate et secoue les fondements du silo, en plus de faucher la vie de nombreux innocents…
Hugh Howey, avec ce roman d’aventure au format huis clos rythmé par un suspense de longue haleine, de même qu’une écriture irréprochable et riche à souhait, a imaginé un monde situé à des années lumières du nôtre, où la familiarité côtoie l’inquiétant.
C’est qu’au détour des chapitres, on y reconnaît la vision de notre monde tel qu’on le connaît, mais dans un cadre qui ne fait pas (du tout) rêver et qui donne le vertige, autant que les 144 étages du silo…
Déjà qu’à notre ère moderne, on doit nous aussi vivre en collectivité et qu’on a parfois de la misère à endurer l’autre. Imaginez un monde où vous devez vivre enfermé avec l’autre, sans n’avoir jamais mis le nez dehors.
Il y a de quoi virer fou et vouloir sortir, n’est-ce pas? Et ce, même si une mort certaine nous attend. Et vous, oseriez-vous franchir le pas?