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Crédit photo : Tous droits réservés @ MBAM
Au fil des époques, quel rapport l’être humain a-t-il entretenu avec la nature?
Bien sûr, les considérations environnementales sont au coeur de cette exposition. Et pour répondre à cette question ci-haut, Nicolas Party revisite quatre siècles d’histoire de l’art, du XVIIe au début du XXe siècle, faisant résonner ses fresques et ses toiles aux teintes vibrantes et saturées avec une cinquantaine d’oeuvres plus classiques de la collection encyclopédique du MBAM.
Ainsi, les peintres de renom Gustave Courbet, Ferdinand Hodler, Henri Fantin-Latour, Nicolas Poussin, Otto Dix, Frantz Snyders et Lawren S. Harris comptent parmi les artistes représentés.
L’exposition doit d’ailleurs son titre à l’œuvre du peintre symboliste Ozias Leduc. Nicolas Party, en la contemplant, y a décelé un certain aura de mystère. Ce crépuscule aux teintes violacées qui illustrent le déclin vers la nuit annoncerait-il, du même coup, le déclin de notre planète?
Des thèmes récurrents: le rapport à l’image et à la nature
Dès mon arrivée, une fresque immense m’a accueilli en haut de l’escalier principal. Des volutes de nuages mauves, violets et grisâtres ornent le mur. Ce «Coucher de soleil» contraste avec le rouge flamboyant et criard d’une tête sculptée qui trône au centre.
D’ailleurs, ces têtes reviennent de manière récurrente dans l’œuvre de Nicolas Party, illustrant ainsi son rapport à l’image. Leurs couleurs éclatantes font référence autant aux couches de maquillages qu’aux populaires filtres Instagram, l’artiste évoquant à sa manière les masques que l’on porte en société.
La dernière salle est d’ailleurs consacrée à ces larges têtes jaunes, cette fois recouvertes de motifs de grenouilles, de papillons et de vers, ainsi qu’à des bustes de couture composés dans les mêmes matériaux et couleurs.
Réunissant des aquarelles, des pastels et des sculptures, l’exposition présente également des paysages, des portraits et des natures mortes d’objets du quotidien.
Chaque salle insuffle une atmosphère onirique où sont exposées des fresques grandioses, gorgées de tons saturés sur des fonds unis: du vert forêt au rouge bourgogne, du bleu nuit au doux rosé.
On est hypnotisé.e par ces forêts aux couleurs vivifiantes, où le vert fougère danse aux côtés du jaune paille, de même que par ces grottes glaciales aux teintes givrées et turquoises, d’où s’échappe l’effrayant «Portrait de l’avocat Hugo Simons» aux doigts crochus d’Otto Dix.
Sur un autre mur, le «Portrait avec avocat» de Nicolas Party fait écho à la toile du peintre expressionniste allemand.
En juxtaposant des compositions baroques à ses fresques contemporaines, Nicolas Party a su créer un sentiment d’étrangeté qui séduit l’œil captif et curieux.
Ainsi, ce mur de pêches attrayantes qui batifolent les unes avec les autres contraste sévèrement avec la rusticité du repas gargantuesque où trône un Bambi éventré.
On aimerait presque caresser ces pêches aux textures en apparence duveteuses.
Dans cette exposition, l’artiste nous emmène à réfléchir sur les liens qui unissent l’homme à la nature: «péché originel, conquête, paysage en ruines, espace sublime et lieu de désir, de chaos, de mort et de métamorphose.»
Toutefois, j’ai trouvé que ce lien entre les oeuvres de la collection du MBAM et celles de l’artiste n’est pas toujours évident.
D’ailleurs, j’ai noté qu’aucune oeuvre, à part leur titre peut-être, ne possède de descriptif ou d’explication qui m’aurait permis de mieux saisir les raisons pour lesquelles Nicolas Party a voulu les faire dialoguer les unes avec les autres.
Et la musique de Pierre Lapointe, là-dedans?
L’auteur-compositeur-interprète québécois Pierre Lapointe prête sa voix, à la fois lumineuse et mélancolique, de même que ses arrangements musicaux, aux œuvres fantasmagoriques de Nicolas Party.
Conçu en sept tableaux, cet album-concept, créé spécialement pour cette exposition, comporte deux pièces instrumentales pour un total de douze chansons. On y retrouve entre autres des créations originales ainsi que des titres adaptés de Félix Leclerc, Kurt Weill, Charles Aznavour, Claude Léveillée et Pete Seeger.
Si certaines paroles tissent des rapports explicites avec les œuvres, notamment les deux premières de l’album, «Le serpent qui danse» et «La conquête du conquistador», avec les toiles Portrait avec champignons et Portrait avec serpents, il ne faut toutefois pas toujours chercher les relations entre, par exemple, des natures mortes de théières et… «Non, je n’ai rien oublié» de Charles Aznavour!
«Que j’aime voir, chère indolente. De ton corps si beau […] Sur ta chevelure profonde. Aux âcres parfums.» – Le serpent qui danse
Toutefois, la pièce «Gnossienne no 1» s’accorde à merveille avec la représentation allégorique de la mort et du temps qui passe dans la dernière salle. Je dois avouer qu’avec son ton solennel, à la fois sombre et mystique, cette œuvre au piano nous plonge dans les abîmes de la fatalité.
Mes attentes envers les créations de Pierre Lapointe étaient peut-être trop élevées. Bien que l’album soit d’une grande ingéniosité, j’aurais aimé être plus habitée et transportée par les mélodies de l’auteur-compositeur-interprète, je l’avoue.
Des chaises éclectiques pour contempler sans s’y poser
Par ailleurs, vous pourrez aussi apercevoir, dans chaque salle, des chaises aux styles éclectiques provenant de la collection d’arts décoratifs du MBAM. Party fait interagir ces chaises avec les toiles de différentes époques.
Ainsi, le Fauteuil Miss Blanche de Shiro Kuramata (Tokyo), avec son aluminium trompe-l’œil qui ressemble à un verre cassant tenant captives des roses, s’harmonise bien à la beauté fugace des fleurs fragiles qui composent certains tableaux.
Mais là encore, le lien entre les chaises stylisées et la thématique des salles n’est pas évident à saisir.
Ma recommandation pour vous
Enfin, je vous conseille de visionner le vernissage virtuel de L’heure mauve avec Nicolas Party, Stéphane Aquin et Mary-Dailey Desmarais.
Nicolas Party, cet artiste qui travaille entre Bruxelles et New York, s’avère un homme fort intéressant à écouter lorsque vient le temps de parler de son univers créatif. On découvre un homme modeste et sans prétention, malgré une culture de l’histoire de l’art étoffée et tout à fait remarquable.
Vous comprendrez mieux comment l’adolescent rebelle originaire de Lausanne, en Suisse, a évolué dans sa démarche en parvenant à juxtaposer des œuvres classiques à des pièces innovantes, inspirantes et riches.
Une expo à voir jusqu’au 16 octobre 2022
En somme, cette exposition saura plaire à un public de tout âge, tant pour ses tableaux aux couleurs vives que ses fresques gigantesques et envoûtantes. C’est une manière hors du commun de découvrir ou de rafraîchir votre appréciation d’oeuvres du passé dans un décor onirique.
L'exposition «L'heure mauve» de Nicolas Party en images
Par Adam Reich, Isabelle Arthuis et Christophe Coënon
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