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Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Cette pièce de Michel-Marc Bouchard raconte le sort d’une fratrie éplorée suite à l’abandon d’une mère ayant déployé les ailes de sa liberté en direction du chaud soleil d’Espagne. L’Europe lui faisait miroiter un destin trépidant, recelant des promesses que son patelin, Saint-Ludger-de-Milot, aurait été bien incapable d’honorer.
À ce titre, Les muses orphelines rejoint d’autres œuvres québécoises au rang de celles qui mettent en scène une femme en exil qui, par un beau matin, choisit de se dérober aux responsabilités que lui prescrit son rôle de génitrice: Maman est partie chez le coiffeur de Léa Pool, C’est pas moi je le jure de Philippe Falardeau, et plus récemment Ceux qui se sont évaporés de Rébecca Déraspe — la mère fait ainsi souvent figure d’absence.
Cette représentation de la mère fuyante ne fait, en somme, que révéler par contraste le modèle unique auquel les femmes étaient contraintes de se souscrire, sans quoi la vie serait très compliquée pour elles, particulièrement dans le contexte des années 1940 dans lequel se déroule la pièce.
Marcher sur les crêtes
La mise en scène imaginée par Amélie Bergeron mise sur le talent des membres de la distribution, lesquel.le.s forment une fratrie aux horizons et aux accents diversifiés, faisant sauter les codes de la famille québécoise traditionnelle nucléaire.
Pourvue d’une voix juste et rare la vouant assurément à un avenir resplendissant sur les planches, Ariel Charest renverse par son naturel et son authenticité. Plusieurs de ses interventions déclenchent les rires au sein de l’auditoire.
Pour tout décor, un pan de ciel projeté sur un écran se déploie à l’arrière. Les personnages gravissent une sorte de toit déposé sur la scène, et c’est comme s’ils-elles tentaient constamment de se maintenir en équilibre sur l’arête à son faîte, marchant sur les crêtes. Ils-elles tentent de préserver les apparences d’une certaine bonne entente familiale, mais basculent à l’occasion dans un profond ressentiment. Celui qu’ils-elles éprouvent à l’endroit de leur mère semble avoir imprégné leurs propres relations.
Ou bien la fratrie, cousue des liens inaltérables du sang, ne constitue-t-elle pas l’unique arène dans laquelle de telles effusions de haine se mêlent à l’amour? Il semble ainsi que la famille, contrairement à l’amitié, a ceci de complexe et d’ambigu qu’elle peut à la fois constituer un abri et une geôle lorsque les liens de sang attachent entre eux les membres de la maisonnée à la manière des sangles.
Une quête perpétuelle
Le vernis de la famille Tanguay vient donc à craqueler, malgré les efforts désespérés de Catherine (Natalie Fontalvo, très juste) pour composer un tableau digne de celui d’une famille normale, conforme aux normes qui prévalent au Lac-Saint-Jean. Ses efforts semblent insuffisants pour combler le vide qu’a creusé le départ de leur mère.
En résulte chez chacun.e d’eux-elles une sorte d’errance ou d’exploration perpétuelle. Luc (Pierre-Olivier Grondin) arbore ainsi les vêtements maternels, s’enveloppant littéralement du souvenir de sa mère, quitte à s’attirer les railleries et les coups des habitant.e.s de Saint-Ludger. Quant à Isabelle (Inez Sirine Azaiez), sorte de Bousille ou de grande enfant, elle semble comprendre bien plus que ne veut le reconnaître son entourage autour d’elle.
Celui-ci la malmène, comme si, en plus d’être dépourvue de génie, elle était également dépourvue de sensibilité. Catherine l’a prise sous son aile: l’aînée des Tanguay s’est ainsi parentifiée — par la force des choses, mais aussi par désir d’étendre son pouvoir autour d’elle. Martine (Ariel Charest), soldate revenue du front, se refuse fermement aux effusions sentimentales, et demeure austère et aride comme le désert.
La rencontre de famille qui résulte de leur réunification constitue l’essentiel de la pièce, qui tient en une seule unité de temps et de lieu, révélant toute la force du texte et des dialogues qui sont largement suffisants pour tenir l’auditoire en haleine. Voilà qui réitère le statut de Michel-Marc Bouchard parmi les plus grand.e.s dramaturges de notre répertoire.
En amont des représentations, le Théâtre La Bordée accueille une courte pièce, suivant la formule du court-métrage, dans une mise en scène de Samuel Corbeil. L’idée est belle; le rendu, un peu moins heureux.
À la différence de Les muses orphelines, le texte ne percute pas et aurait sans doute bénéficié d’une approche plus longue pour permettre de s’immerger tout à fait dans son contexte singulier. Mais la formule est néanmoins prometteuse.
«Les muses orphelines» à La Bordée en images
Par Nicola-Frank Vachon
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