CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
«Il n’y a pas de question plus importante que de savoir si la vie vaut la peine d’être vécue. Même si l’amour et l’amitié ne suffisent pas, c’est déjà beaucoup». – Carl Leblanc
Un tourbillon d’émotions
Mario était le plus vieil ami de Carl Leblanc, et tous deux évoluaient au sein de la «bande du Lac», un groupe d’amis de longue date aux liens tissés serrés. Le 22 mai 2015, Mario a décidé de s’enlever la vie et a été retrouvé par l’un de ses frères dans la salle de lessive de son condo, une balle de calibre 22 logée dans la tête. «Le suicide est une tragédie assez monumentale, un événement vertigineux», confie notre interlocuteur.
Évidemment, ce départ si brutal a profondément bouleversé – et travaille encore aujourd’hui – son entourage: «On est des petites bêtes et on essaye de se dépatouiller à travers cette épreuve. J’ai pensé que c’était important de rendre cette agitation, cette tristesse, ce tiraillement qui peuvent suivre un événement comme celui-là, et c’était aussi ça l’objet du film.»
Après le choc et le tourbillon émotionnels qui ont pris de court les acolytes – l’annonce a été très difficile à formuler et à entendre, on le comprend dans le film –, le réalisateur a voulu parler de cette amitié brisée. Le déclic s’est fait quand le frère de Mario lui a transmis son journal intime, découvert sur son ordinateur. «C’est ce journal qui m’a donné l’élan, car c’est le matériau qui me garantissait la possibilité de bien rendre la complexité d’un événement comme celui-là, en donnant écho à ce qui s’est passé en lui.»
Aller droit au cœur du spectateur
Avec l’envie de réaliser ce projet est venu le défi de convaincre les proches de se livrer à la caméra autour d’un sujet aussi intime et personnel. «J’avais la conviction que ce récit avait une valeur certaine pour d’autres que nous [la bande du Lac], et donc que des personnes pourraient se reconnaître dans cette histoire et la prendre personnelle», affirme celui qui s’illustre dans le documentaire depuis une trentaine d’années. «Je me suis attelé à convaincre mes amis, mais ce n’était pas évident. L’appréhension, c’était l’exposition d’une intimité, et puis le fait de donner trop d’importance à la dernière version de Mario, celle, malade, qui a mis fin à ses jours.»
Au final, Perdre Mario s’avère un film extrêmement réussi, une œuvre qui trouve l’équilibre fragile et délicat entre le respect de l’intimité des proches et le fait d’aller droit au cœur du spectateur – on vous le dit, la larme à l’œil est dure à retenir pendant les 85 minutes que dure le film.
Quoiqu’il en soit, si le documentaire remplit indéniablement sa mission, Carl Leblanc a trouvé ce projet challengeant à réaliser et ne s’en cache pas, «parce qu’il y a, d’une part, les frères de Mario, d’autre part, les amis, et le sujet qui est anxiogène.» Ainsi, revenir de façon aussi intense sur le gouffre dans lequel est tombé Mario et revivre les souvenirs marqués à tout jamais dans les cœurs de ses proches a été un véritable défi: «Tout au long de la production, on avait l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Est-ce qu’on avait le bon ton? Il y avait une sorte d’inquiétude et ça a été difficile.»
Des collaborateurs précieux
Outre les confidences et la sincérité désarmantes des amis et de la famille de Mario (qui reviennent chacun sur la façon dont il a marqué leurs vies avant et après le suicide), la réussite du film tient aussi à l’équipe talentueuse qui s’est attelée à réaliser ce projet.
Carl Leblanc a notamment travaillé avec Alex Margineanu à la direction photo qui, en plus d’être un proche collaborateur, est un grand complice du réalisateur. «Il fait partie de notre groupe, c’est un ami très cher et, en plus d’être à mon avis le meilleur directeur photo en cinéma documentaire à Montréal, je travaille avec lui depuis une vingtaine d’années. C’est une histoire fidèle qu’on a construite artistiquement», nous confie-t-il.
Du côté de l’animation, c’est François Fortin qui a assuré la mission: «Ça a été un travail de fou, des essais et erreurs, de longues discussions sur ce qui était adéquat ou non et ce qui rendait bien à l’image quant à une intériorité, une maladie, une angoisse.»
Enfin, le réalisateur souligne l’incroyable talent des deux interprètes en voix hors champ. Il y a bien sûr celle de Robert Lalonde qui interprète Mario, et ce, «sans chercher à l’imiter, mais bien à se mettre au diapason du texte et des sentiments véhiculés par les extraits du journal.» On se délecte aussi d’écouter celle de Luce Dufault qui, toujours selon Carl Leblanc, a su trouver le ton juste pour raconter l’histoire à titre de narratrice, «ce qui ajoute vraiment quelque chose au récit».
Le bel équilibre entre un sujet aussi sensible, une démarche artistique délicatement menée et une équipe de choc font de Perdre Mario un incontournable pour comprendre l’un des événements les plus troublants de la vie. Ne manquez surtout pas ça!