LittératureDans la peau de
Crédit photo : François Couture
Isabelle, Laurence et Annabelle, vous faites toutes les trois partie d’On SEXplique ça, une équipe formée de sexologues et d’intervenantes en sexologie ayant une expertise en éducation à la sexualité chez les jeunes. D’où est né votre intérêt respectif pour le sujet, et qu’est-ce qui vous a donné envie de vous spécialiser professionnellement dans ce domaine?
I. «Je fais partie de la cohorte qui testait la réforme, et donc, qui n’avait plus aucun contenu d’éducation à la sexualité enseigné au secondaire. J’ai dû apprendre à décortiquer les relations interpersonnelles, les changements corporels, les variations hormonales et tout ce qui vient avec par moi-même. Je n’avais nulle part où poser mes questions, parce que le sujet était tabou pour tout le monde. Ainsi, quand j’ai su plus tard dans la vie qu’il existait une profession spécialisée dans l’éducation à la sexualité, j’ai su que je devais m’inscrire, quitte à parfaire mes propres apprentissages d’abord, si je n’en faisais pas une profession.»
L. «J’ai toujours eu une bonne écoute et un intérêt pour le comportement humain. Déjà, jeune, je voulais aider comme pédiatre, médecin, psychiatre ou psychologue, par exemple. J’allais dédier ma vie à mieux nous comprendre. Et la sexualité, c’est ce qui nous unit tous.tes malgré nos différences. Qu’elle soit ouverte ou taboue, active ou inactive, la sexualité humaine est à la base de tout: joie, peine, curiosité, craintes, apprentissage, évolution.»
A. «Ayant un parcours qui semblait atypique à l’adolescence si on me comparait à mes collègues de classe, j’ai vite compris que la sexualité humaine avait ses tabous, mais détenait également ses grands questionnements. J’ai su tirer mon épingle du jeu en prenant le tout avec maturité, et c’est ce qui m’a fait grandir à l’époque. Fille d’enseignants, je savais que ce côté de l’éducation me rejoignait beaucoup et me stimulait professionnellement. Également, mon parcours personnel m’amenait à avoir une aisance et une approche sans jugement face à la sexualité à l’adolescence. J’ai donc voulu aider mon prochain en me spécialisant dans l’éducation à la sexualité!»
En plus d’avoir diffusé du contenu en ligne sur les plateformes Facebook, Instagram et YouTube, vous vous êtes associées à KRISPII pour produire un programme d’éducation à la sexualité entièrement numérique destiné au personnel enseignant du secondaire. Pouvez-vous nous parler un peu plus en détail de ce projet?
I. «Quand on a appris que des contenus d’éducation à la sexualité revenait dans les écoles en 2019, on était emballées par cette nouvelle, mais malheureusement moins enchantées par le fait que l’expertise des sexologues n’était pas reconnue, alors que ce sont les enseignant.e.s qui doivent transmettre ces contenus. Les enseignant.e.s venaient vers nous, désemparé.e.s, en nous demandant si on pouvait les accompagner dans leurs cours. On a donc rapidement compris que la meilleure façon de rendre nos connaissances accessibles était via un programme complet, qui appuie le personnel scolaire de A à Z pour couvrir tous les contenus obligatoires – et même plus – de façon ludique et instructive pour les jeunes. Comme l’accessibilité a toujours été au cœur de notre mission, nous savions dès le départ qu’il fallait trouver une entreprise qui avait l’expertise du numérique, et KRISPII était le meilleur partenaire possible pour ce projet, considérant que cette entreprise a développé une plateforme numérique spécialement dédiée à l’enseignement pédagogique.»
L. «L’idée de développer un programme complet en éducation à la sexualité est directement liée à notre prise de conscience qu’un programme complet clé en main n’était pas disponible pour les établissements scolaires! Quand on a annoncé le retour de l’éducation à la sexualité dans les écoles, nous étions les premières à être enthousiastes! Nous, et tous.tes les sexologues et intervenant.e.s qui abordent le sujet de la sexualité pour les jeunes. En septembre 2018, nous avons pu mettre la main sur les contenus développés par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, et on s’est vite rendu compte que les enseignants allaient avoir du pain sur la planche… Comment aborder des sujets aussi délicats que les violences sexuelles? Comment présenter les diversités sexuelles quand on ignore la signification de l’acronyme? On s’est donc dit que nous allions donner notre soutien à ceux et celles qui veulent être épaulé.e.s durant l’enseignement de cette matière.»
Ce 15 septembre, vous avez fait paraître votre livre On SEXplique ça: Comment parler de sexualité avec son ado aux Éditions de l’Homme. Au fil des pages, les parents trouvent «un guide à la fois théorique et pratique pour intervenir le plus adéquatement possible auprès des jeunes qui s’interrogent sur leur développement pubertaire». Quel a été le déclic qui vous a motivées à partager votre expérience d’éducation sexuelle au sein d’un ouvrage?
I. «En toute honnêteté, c’est la maison d’édition qui nous a approchées, mais l’idée nous a tout de suite plu! On trouve très important – et c’est au cœur de notre mission – de rendre l’éducation à la sexualité accessible à toutes et tous. Pour atteindre cet objectif, il faut que tout le monde y contribue: sexologues, enseignant.e.s, intervenant.e.s, parents, etc. Comme on dit, “ça prend un village pour élever un enfant”, donc il est tout aussi important que les parents aient accès à du contenu fiable, inclusif et de qualité pour contribuer à l’éducation sexuelle de leur.s jeune.s, ou simplement répondre à leurs questions.»
L. «L’équipe d’On SEXplique ça développe du contenu depuis 2015 sur diverses plateformes– Instagram, Facebook, YouTube et web–, en plus de répondre à de multiples questions du public et de se déplacer dans les écoles pour parler sexualité saine, positive et inclusive. On n’aurait jamais pensé un jour publier un livre, ni même être approchées par une maison d’édition aussi renommée!»
A. «Comme disait Isabelle, la maison d’édition nous a approchées, mais en y pensant bien, c’était la suite logique du parcours de l’organisme. Le déclic est venu dès l’offre de publication!»
Dans ce guide, vous parlez également de thématiques actuelles comme le consentement et les diversités: pourquoi pensez-vous qu’il est plus que jamais important d’éduquer les jeunes à ce sujet, et quelles sont les grandes lignes de votre présentation?
I. «Justement parce que des gens peuvent encore considérer que le consentement et les diversités sont des thématiques actuelles, alors que ce sont des réalités pour des milliers de personnes, depuis toujours et pour toute la vie. La preuve est que, dès le plus jeune âge, les enfants reçoivent des jouets genrés, décidés en fonction d’un sexe attribué à la naissance sur la simple base d’organes génitaux. L’identité de genre se décide dès l’échographie et à la place des enfants. Même chose pour le consentement, alors qu’on force les enfants à embrasser ou donner des câlins à un.e membre de la famille ou un.e ami.e pour les remercier ou s’excuser d’un comportement. Dans les faits, on est en train d’invalider leur consentement et ça, peu de parents s’en rendent compte. C’est pourquoi l’éducation à la sexualité est si importante, et ce, à un si jeune âge. Ce ne sont que quelques exemples rapides qui démontrent que nous vivons dans une société sexualisée (on inclut ici le genre et les relations au sens large), qu’il faut nommer et reconnaître pour mieux comprendre et évoluer.»
L. «Je tiens à corriger ici, le consentement et les diversités ne sont pas des thématiques actuelles. Les diversités sexuelles et de genre ont toujours existé. Et la notion que l’on peut donner son accord ou non à un rapport sexuel, ça n’a rien de nouveau. Seulement, pour toutes sortes de raisons, le consentement n’était peut-être ni écouté ni respecté, ni même valorisé. Et les diversités ont longtemps été reléguées au second plan, sous l’influence de mouvements sociaux et religieux, ou sous peine d’être judiciarisées. En 2021, au Québec, le consentement est maintenant sur toutes les lèvres, car on a levé le voile sur une grave réalité: le consentement n’est pas donné, n’est pas entendu, n’est pas respecté et, lorsqu’il n’est pas respecté, peu ou pas de connaissances en découlent. On s’interroge donc sur le pourquoi?, et l’éducation semble être un bon moyen pour y remédier. Briser l’ignorance sur les diversités, mettre en valeur chacune des sexualités, développer sa voix pour exprimer ses désirs, apprendre à considérer l’autre comme son égal, améliorer la communication et la gestion des émotions: c’est ça le cœur du livre.»
A. «Mes collègues ne pouvaient pas mieux répondre à cette question. Je rajouterais que chaque génération a ses enjeux et ses défis au niveau de la sexualité humaine. Ça allait de soi d’apporter une importance particulière à ces thématiques, sachant très bien qu’elles teintent plusieurs autres sphères intra et interpersonnelles.»
À court ou moyen terme, avez-vous d’autres projets ensemble en lien avec la sexologie et l’éducation sexuelle chez les jeunes et, si oui, quels sont-ils?
I. «Pour ma part, je me suis retirée de la sexologie, donc ce livre est le dernier morceau de mon héritage sexologique pour les nouvelles générations de sexologues et d’intervenant.e.s. Il s’agit d’une profession encore méconnue et qui ne reçoit malheureusement pas toute la reconnaissance qu’elle mérite, alors que l’éducation à la sexualité est souvent réduite à cette fameuse démonstration d’un condom sur une banane ou au discours de prévention des ITSS. Depuis mon arrivée dans le programme de sexologie de l’UQAM en 2014, j’ai mis tous les efforts possibles pour faire valoir la sexologie: j’ai notamment cofondé en 2015 l’organisme On SEXplique ça, auquel j’ai accordé des centaines d’heures de bénévolat au fil des années pour préparer du contenu, enregistrer des vidéos, développer du matériel, animer des classes et autres. J’ai tenu une émission de radio pendant quelques années pour normaliser des thèmes plus tabous et déconstruire les idées préconçues, j’ai accordé de nombreuses entrevues aux médias et j’ai collaboré à divers projets, tous plus inspirants les uns que les autres. Sachant l’organisme entre de bonnes mains pour poursuivre sa mission, j’ai laissé ma place à des gens plus passionnés qui cultivent la même fougue et dévotion que j’avais pour le milieu dans mes débuts.»
L. «Pas de repos pour nous, septembre annonce une nouvelle année scolaire et la reprise d’ateliers en milieux scolaires, en virtuel ou en présentiel. On préfère évidemment être dans les classes, près des jeunes et disponibles pour les enseignants. On continue aussi à publier régulièrement sur nos plateformes, on invite vos lecteurs à nous suivre et à nous poser leurs questions. Et si la réponse du livre est positive, peut-être qu’on se lancera dans un Volume 2, avec des thématiques comme “Naviguer la sexualité et les réseaux sociaux”? Ou peut-être qu’on parlera de “l’écart entre la pornographie et la réalité”?»
A. «Étant la collaboratrice principale de l’organisme, je vais suivre la vague des nouveaux projets et m’en donner à cœur joie selon les demandes et les besoins, tout en cultivant les ateliers sporadiques qui me sont offerts par différents organismes et instances dans ma région!»