ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Lino Cipresso
Les personnes âgées sont-elles vouées à mener une existence glauque qui s’étiole à l’ombre, dans une société qui mise tout sur sa jeunesse, ou bien peuvent-elles aspirer à une fin de vie dorée? C’est à cette question que Grisé s’applique à répondre et, pour ce faire, l’artiste séjourne dans l’une de ces résidences, ces «RPA», où aboutissent les aîné.e.s à l’extrémité de leur vie.
Ainsi, pendant un mois, le jeune quinquagénaire a fréquenté les Jardins du Patrimoine de Val-d’or, accueillant des personnes aînées «autonomes» – l’une des seules résidences, au demeurant, qui a bien voulu l’admettre dans son établissement pour y effectuer une immersion, n’ayant «rien à cacher». De ses quatre semaines d’immersion, François Grisé nous raconte un quotidien sous le signe de la lenteur. Lors de ses échanges, une simple question propulse les pales des moulins à paroles: des vies entières tiennent dans les réponses aux questions adressées par l’artiste aux aîné.e.s, avides de raconter leurs souvenirs dans les moindres détails.
D’une part, celui qui signe l’idée originale du spectacle se fait le dépositaire de cet immense capital de sagesse et de souvenirs. D’autre part, le poids des témoignages livrés par ses interlocuteur.rice.s, parfois esseulé.e.s et fatigué.e.s, se décharge sur lui, menaçant de l’écraser.
Observer la mort avec franchise
Progressivement, l’auteur observe, en outre, son propre corps subir des transformations inusitées, allant jusqu’à adopter une certaine odeur, celle des «animaux qui savent qu’il vont mourir», suppute un aîné. Il décrit cette sorte d’osmose qu’il vit au contact des de ces «vieux et vieilles». Il raconte au public les pensées qui l’alourdissent au fil des jours, les craintes qui le rongent alors qu’il se projette dans sa propre vieillesse à venir.
Mais surtout, il témoigne de moments de grâce que lui procurent certain.e.s résidant.e.s, dont cette dame Deschambault avec qui il noue une relation privilégiée. Est-ce précisément cette mort rôdant à proximité qui affûte la sensibilité, portant à prêter attention aux joies du quotidien, si minces puissent-elles être?
Grisé ronge son propre frein dans ce contexte qui force au calme. Dans un quotidien enfermé, hermétique au chahut du monde, les aîné.e.s contemplent leur propre fin, font «face à la musique», comme l’exprime un dénommé Monsieur Caron avec courage ou résignation, hantise ou hâte à la perspective d’une sérénité renouée. Il s’agit de «voir venir la fin» plutôt que de prétendre qu’elle ne surviendra jamais. L’auteur paraît lui-même ahuri face à cette perspective de la mort, mais surtout face à ce déni massif que cultivent ceux et celles qui n’ont pas encore abordé les rives de la vieillesse.
Parmi les interlocuteur.rice.s de François Grisé se trouvent ses parents: ainsi, des scènes le montrent en train de se disputer avec eux au téléphone, et force est de constater combien il semble alors plus difficile pour l’artiste de demeurer maître de lui-même et de prendre du recul face au propos de ses géniteur.rice.s dont certains gestes et paroles le piquent au vif. Ses parents, serait-on tenté de supposer, offrent à l’artiste un reflet bien plus précis et confrontant de sa propre vieillesse à venir.
Une parole essentielle
La pièce se divise en quatre parties, tirant leur inspiration des forages miniers ayant permis l’essor de villes aussi reculées que La Sarre ou encore Val-d’Or. La métaphore est plutôt habile. Les RPA offrent une occasion en or de générer des profits en attirant les franges vieillissantes de la population dans leurs établissements. À la faveur de l’enrichissement des propriétaires, les habitant.e.s encourent forcément la possibilité d’être négligé.e.s. Les prospecteurs de la vieillesse rôdent autour des personnes vieillissantes qu’ils tentent d’attirer dans des milieux de vie artificiels où règne une monoculture. En conséquence, des aîné.e.s terminent leurs jours confiné.e.s avec des personnes qui, elles aussi, se situent au crépuscule de leur vie, leur chemin se prolongeant en parallèle de celui des générations plus jeunes au sein de la société.
La vaste galerie d’interlocuteur.rice.s de Grisé, incarné.e.s par Marie-Ginette Guay, Marie Cantin et Jean-François Gaudet, s’offrent tout entier.ère.s aux spectacteur.rices qu’ils désarment par leur sincérité, basculant de la gravité à la légèreté. La scénographie du spectacle, co-produit par Porte Parole (J’aime Hydro, Fredy), Nous sommes ici (Changing Room, Noshow) et Un et un font mille, est sobre: elle tient à quelques panneaux coulissants, sur lesquels sont projetés le portrait des aîné.e.s avec lesquel.le.s François Grisé s’est entretenu. Comme le veut l’usage dans le théâtre documentaire, le dispositif scénique préserve une simplicité, évitant que la parole des personnes interrogées ne soit dissimulée par des artifices.
Le spectacle se fait ainsi le socle de la parole des aîné.e.s qui forment le «cœur» battant de la pièce, comme l’exprime Grisé.
La pièce «Tout inclus» en images
Par Lino Cipresso
L'avis
de la rédaction