LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Céline Chapdelaine
Éric, en plus de tes fonctions de professeur en linguistique à l’Université d’Ottawa, tu es écrivain et as déjà publié trois romans. On est curieux de savoir: quand as-tu eu le déclic pour l’écriture et les mots bien agencés?
«J’ai commencé à écrire lorsque j’étais adolescent. Ma mère m’avait donné sa vieille machine à écrire IBM et je tapais dessus toute la journée. J’écrivais des nouvelles et j’avais même débuté un roman dont le titre était: L’enfant. Mais mes projets n’étaient jamais aboutis. Je crois qu’il me manquait à la fois de la confiance et de l’encouragement.»
«Ce n’est que plus tard, après mes études en linguistique, que j’ai repris la fiction et que, cette fois, j’ai essayé de terminer mes projets. Mais l’écriture est un travail de longue haleine, ce qui fait que j’ai publié assez tard. J’ai mis cinq ans à écrire mon premier roman, trois ans pour le deuxième, et deux ans pour le troisième. On dirait que je m’améliore tout doucement avec le temps…»
C’est la première fois que tu t’adresses à de jeunes lecteurs (6 à 9 ans) avec le roman Capitaine Boudu et les enfants de la Cédille paru aux Éditions L’interligne en septembre dernier. Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le genre littéraire du roman jeunesse?
«Au départ, j’ai fait un rêve. J’ai rêvé d’une station spatiale avec des enfants. Que faisaient-ils là? Ce n’était pas clair. Dans mon rêve, il y avait aussi une figure parentale (le Capitaine Boudu) qui jouait de l’accordéon. Ce rêve fait très Ray Bradbury et je suis certain que j’ai été influencé par lui. Mais plus généralement, j’ai pris la décision à un moment donné d’écrire un roman jeunesse, car je prends la littérature et mon écriture au sérieux (cela me passionne!) et je voulais expérimenter des genres différents.»
«Pour être un.e écrivain.e complèt.e, je pense qu’il faut s’essayer avec toutes sortes de livres: romans, adultes et jeunesse, nouvelles, essais, poésie, etc. En tous cas, c’est un défi que je me suis lancé. Parfois, il est important de se lancer des défis d’écriture, pour se forcer à créer plutôt que d’attendre l’inspiration, mais il faut en même temps laisser son imagination travailler, et les rêves sont souvent une excellente source d’exhortation.»
L’histoire se déroule sur la station spatiale U+00B8 où un vaisseau extraterrestre s’écrase, ce qui amène le jeune Félix et le capitaine de l’équipage à vivre de folles aventures sur une planète éloignée. D’où t’est venue l’inspiration pour créer ce récit rythmé et ces personnages colorés?
«Je me suis replongé dans mon enfance et me suis demandé quel genre de livre j’aimais. Je me suis souvenu que j’aimais les romans d’aventure et les romans de science-fiction. J’ai donc voulu, pour mon roman jeunesse Capitaine Boudu et les enfants de la Cédille, concocter une histoire qui irait vite, avec beaucoup de dialogues, mais aussi de scènes d’action.»
«Lorsque j’écris, je pense toujours au lecteur/à la lectrice, et je veux qu’il/elle lise vite, qu’il/elle ait hâte de tourner les pages. De nos jours, on est assez impatients, et il faut aller à l’essentiel. Aussi, dans mon histoire, le point de vue est largement celui des enfants et les adultes sont secondaires. Il était important se mettre à la place de Félix et de Thimoléonne, et de suivre de leur point de vue le déroulement de l’histoire.»
Au cours de ses aventures, on sait que Félix «fera preuve d’un grand courage et découvrira, entre autres, une tour de Babel à l’envers et une pierre ancienne permettant de déchiffrer les langues…» C’est tout de même assez inusité de choisir la linguistique comme thème de roman pour les enfants! Peux-tu nous dire comment tu t’y es pris pour aborder ce sujet de façon ludique? On aimerait aussi savoir si tu as dû faire face à d’éventuels défis en lien avec ce projet!
«Avant d’écrire mon livre, j’ai regardé un peu ce qui se faisait en littérature jeunesse, et j’ai constaté qu’il y a un tas de livres à thèmes. La littérature jeunesse d’aujourd’hui n’a pas peur d’aborder des thèmes difficiles, de parler des enjeux de société, de diversité, etc. Il y aussi un tas de livres jeunesse qui présentent des scientifiques connu.e.s ou qui apportent une certaine pédagogie sur tel ou tel sujet.»
«Je n’avais jamais vu de livre jeunesse qui abordait le thème de la langue, du langage, et de la variation linguistique. Alors, j’ai voulu faire ce livre. La linguistique est un domaine passionnant qu’on découvre souvent sur le tard, car c’est un sujet qu’on n’enseigne pas avant l’université, donc je voulais apporter une mini présentation du sujet aux enfants/pré-adolescents.»
«La difficulté a été de faire simple et de ne pas introduire des concepts trop difficiles. Les concepts linguistiques présentés dans Capitaine Boudu et les enfants de la Cédille ne sont pas compliqués. Ils sont introduits de manière littéraire, pas du tout scientifique. Pour les termes plus compliqués (ou inventés, car j’invente beaucoup de mots), mon éditrice a eu l’excellente idée d’introduire un glossaire à la fin du livre. S’y ajoutent quelques liens internet pour aller lire davantage sur la pierre de Rosette, par exemple, qui a influencé ma pierre de granite noir dans le roman. Un autre thème du livre important est la création artistique. Félix trouve qu’il n’a pas de talent et, à la fin du livre, il se découvre un talent d’auteur, et on se rend compte que c’est lui qui a écrit le livre!»
Capitaine Boudu et les enfants de la Cédille fait partie des œuvres en lice pour le Prix du livre d’enfant Trillium 2021, qui vise à récompenser les écrivaines et écrivains francophones de l’Ontario et leurs éditeurs. Toutes nos félicitations et la meilleure des chances! Comment as-tu accueilli la nouvelle et, selon toi, qu’est-ce que cela peut t’apporter pour la poursuite de ta carrière d’auteur?
«Merci! Pour moi, c’est un grand honneur d’être finaliste. Je crois qu’un.e auteur.e, ça doute toujours. On n’est jamais certain.e d’avoir réussi son pari. Le fait d’être finaliste pour un prix ou de recevoir de bons commentaires de la part d’un lecteur/d’une lectrice, c’est un encouragement, une manière de nous dire: continuez dans vos efforts!»
«On peut vite se décourager et l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous, alors un petit coup de pouce comme celui-ci est vraiment le bienvenu. Ça me donne envie de continuer, d’écrire, de taper sur mon clavier, comme je tapais sur ma machine IBM lorsque j’étais petit!»