LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Stéphane Despatie
Stéphane, on savait que tu avais œuvré comme directeur général des éditions Écrits des Forges, mais on ignorait que tu étais un vrai touche-à-tout dans la vie! En effet, tu as navigué d’un domaine à l’autre en culture, du théâtre à la musique, de l’édition à la poésie. D’où t’est venue cette passion pour les arts et la création? Parle-nous donc brièvement de ton parcours!
«Né dans une famille où la culture était présente et encouragée, j’étais, dès la petite enfance, abonné aux Grands Ballets, à l’OSM, au MBAM et on m’offrait beaucoup de livres. Mon père était lui-même un artiste. L’une de mes grands-mères avait été comédienne et pianiste pour le cinéma muet, et j’étais encore enfant quand ma sœur aînée a publié ses premiers livres (mon père avait d’ailleurs illustré la couverture de l’un d’entre eux).»
«Au primaire, je suivais des cours de guitare classique, et au secondaire, je suis passé au piano classique, au cégep au piano jazz, puis à la basse, et surtout, via mes études en architecture, aux arts plastiques. La partie «édition» est arrivée à l’université grâce à la collaboration à une revue de nouvelles où l’on devait apprendre à composer avec «l’écriture sous le régime du livre».
«J’ai alors fondé la revue Entracte et ce fut le début d’une longue histoire pour moi entre la gestion d’une entreprise culturelle et la création. J’ai toujours aimé comprendre les mécanismes de la mise en marché et être dans l’action plutôt que d’attendre sur le banc.»
Dans un passé pas si lointain – il faut le dire! – tu as fait paraître les livres Ceux-là (2008) et Mauve chaconne (2012). Peux-tu nous parler plus précisément de cet appel pour l’écriture et des thématiques que tu as abordées au sein de ces ouvrages?
«Ceux-là est un livre qui m’est cher, car il contient tout mon univers en quelques pages. Une des suites est un hommage à ma mère, une autre, à mon père. Quand ma mère est décédée, ça m’a donné une sorte de permission comme créateur. En lui écrivant cet hommage, je faisais le deuil également de la relation avec la mère de mes enfants, et aussi de ce que j’avais voulu apporter comme père. La réalité me frappait; soit je ripostais, soit je m’abattais, soit je dansais avec cette réalité sur le ring. J’ai choisi de danser et de construire avec ça.»
«Quelques années plus tard, c’était au tour de mon père de partir, et c’est le phénomène de «casser maison» que j’ai exploré. La suite, Oublierons-nous, est un long poème représentant un peu l’exercice d’Écrire dans la maison du père, pour citer Patricia Smart, qui questionne la spécificité de l’écriture féminine, alors que moi, c’est plutôt le fait d’emprunter les traces d’un créateur ayant occupé beaucoup d’espace que j’investis.»
«Dans les deux cas, il s’agit de naître dans l’ombre. Mauve chaconne est une anthologie, mais elle reprend Engoulevents, mon livre ayant connu le plus grand rayonnement.»
Plus récemment, toujours du côté des éditions Écrits des Forges, tu dévoilais en avril ton plus récent recueil de poésie, Paroles biologiques. À travers ce livre, on déambule «dans les paysages intimes d’un individu en quête de repères personnels». Parle-nous de ton inspiration et de tes sources d’exploration à travers cet enchevêtrement de poèmes.
«L’écriture du livre a débuté en 2010, alors que la peur de perdre l’un de mes fils qui avait un cancer très avancé et la peur «d’échapper» l’autre fils, vu les circonstances accaparantes, étaient omniprésentes. Dans un poème, j’écris: «c’est ma mère c’est mon père c’est presque toi aussi / une peinture abstraite coule réunie comme une prière», et c’est aussi ça le recueil; la réunion de mes thématiques, des gens qui ont croisé mon monde et qui ont tissé la trame de fond de tous mes livres, même ma prose. On peut y lire la perte du sacré, celle de la lucidité et des illusions, celle de nos moyens, et même la capacité à s’indigner.»
«En filigrane, on voit aussi d’autres combats, mais l’engagement demeure toujours au centre; écrire où ça fait mal, tel était le mandat, et l’engagement, qu’on le veuille ou non, apporte toujours son lot de blessures.»
Peux-tu nous parler de ce narrateur qui semble être traversé, au fil des pages, par une multitude de questionnements? On serait curieux de savoir s’il trouve des réponses à ses interrogations. Et si oui, que trahissent-elles, au final?
«C’est évidemment un narrateur qui en vient à épouser tous les pronoms, mais aussi quelqu’un à qui il manque trop d’outils pour être omniscient. Beaucoup de choses lui échappent, et trop de choses lui sautent au visage. Cette lucidité lui fait mal, alors souvent, il fuit.»
«Comme une grande partie de ce livre a été écrit à l’étranger (beaucoup en France, un peu en Belgique, un peu en Suisse, en Allemagne, un peu au Mexique, un peu en Argentine et une infime partie en Russie et en Italie), forcément, malgré moi, les racines et les repères ont pris beaucoup d’importance. Je les cherchais ou ils me hantaient malgré moi.»
«Comme la réécriture s’est faite à Mont-Tremblant, le narrateur, tout comme moi, a finalement trouvé dans les bois sales une sorte de réponse. Ça paraît cliché, mais oui, la boue, l’eau, les arbres, comme les animaux sauvages, ont apporté certaines réponses, sinon une paix et un lieu d’appartenance. Et l’équilibre.»
«Le narrateur fait, en quelque sorte, la paix avec l’équilibre. Plusieurs cherchent l’équilibre, pas lui. Mais ça s’est imposé à lui, comme une caresse inattendue.»
Si tu avais la chance de remonter le temps et de vivre quelques heures à l’époque de ton choix, laquelle choisirais-tu, et avec quel.le poète ou poétesse souhaiterais-tu discuter de la vie, de la poésie, des émotions, de l’être humain en général? On serait bien curieux de savoir qui tu as toujours admiré à travers ses écrits!
«J’ai d’abord admiré Baudelaire et Gide. Je n’ai pas lu Baudelaire depuis des décennies, et je connais encore par cœur certains passages tellement il m’a formé. Vint ensuite Nelligan. Bien des années plus tard, je découvrais Pétrarque avec délice, et aussi Medjé Vézina. Quand on parle d’une autre époque, on parle surtout d’hommes. Alors que Vézina m’a ouvert les yeux sur une autre écriture.»
«Donc, si on parle d’époque, j’ai donc beaucoup de chance, car j’ai connu la plupart des poètes avec qui j’aurais souhaité discuter. L’écriture des femmes poètes est si importante, pour moi, et il n’y a que l’histoire assez récente qui leur a fait une place. J’ai eu la chance de rencontrer et de manger avec l’une de mes idoles en ce qui concerne la prose (Annie Ernaux), mais j’aurais surtout aimé être là au moment où des femmes comme Marie-Claire Blais, Anne Hébert et Nicole Brossard ont pris publiquement la parole pour la première fois.»
«J’aurais aimé, je crois, assister à ce changement. En faire partie. Je dis «je crois», car aujourd’hui même on vit différents changements, mais n’ayant pas de recul, c’est difficile à analyser, ça peut aussi être difficile de se positionner.»