LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Mathieu Rivard
Mylène, à la Bible urbaine, on te connaît comme autrice prolifique et établie puisque tu as déjà publié 18 romans, dont trois pour la jeunesse! On est curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour l’écriture?
«Enfant, j’avais déjà des histoires plein la tête. Au début de l’adolescence, mes histoires ont pris de l’ampleur, les personnages aussi. J’ai écrit mon premier roman à 14 ans, le soir, quand j’allais garder les enfants des voisins. Je ne l’ai pas terminé, ce roman, mais j’en ai gardé un goût prononcé pour l’écriture au long cours.»
«Inventer un univers et y vivre pendant des mois m’a plu énormément. D’ailleurs, si on m’avait demandé à l’époque quelle vie j’aurais voulu mener une fois adulte, j’aurais probablement décrit la vie que je mène présentement. Mais dans les années 1980, quand on était bon à l’école, il fallait étudier en sciences. Et si on était une fille, il fallait s’orienter vers des métiers non traditionnels. Je suis donc entrée à l’université pour devenir ingénieure en électricité. J’y suis restée six semaines.»
En 2009, tu as remporté la résidence d’écriture Berton House Writer’s Retreat de Dawson City, au Yukon. Tu sembles alors avoir été conquise par ce territoire canadien, puisque tu y es retournée huit fois par la suite, et que tu y as d’ailleurs consacré rien de moins que sept romans! Qu’est-ce qui t’a «ensorcelée» là-bas, si on peut ainsi dire, et qui t’a tant inspirée comme écrivaine?
«La nature d’un lieu influence le comportement de ses habitants. On ne vit pas au Québec comme on vit au Yukon. Le degré de liberté des citoyens n’y est pas le même. Les Yukonnais goûtent à une liberté qu’on n’imagine même pas. Leur éloignement des grands centres les incite à ne dépendre de personne. Et comme ils sont eux-mêmes responsables de leur sécurité, ce sont des gens audacieux, qui n’acceptent que les limites qu’ils s’imposent eux-mêmes.»
«Leur attitude face à la vie est grisante pour quelqu’un qui arrive du Sud. Ce sont aussi des gens amoureux de leur territoire. Le bois n’est jamais à plus de cinq minutes de voiture. Et où que l’on pose le regard, c’est beau. Les montagnes qui ondulent, comme si le temps les avait froissées. Le fleuve d’un bleu profond, dont l’eau est la plus pure au monde. L’air a un parfum que je n’ai jamais senti ailleurs. Ça aussi, c’est grisant. Quand on se rend dans la toundra, au nord de Dawson City, on s’y sent petit et on s’y sent grand en même temps. Et on ressent jusqu’au fond de soi la chance qu’on a de se trouver là. Je n’ai connu de sensations comme celles-là nulle part ailleurs dans le monde.»
Ce 15 février, tu as sorti Trop, c’est comme pas assez: réflexion sur l’argent, le temps, la liberté et le bonheur, un livre sur la croissance personnelle aux Éditions de l’Homme. Toi qui nous avais habitués aux romans de fiction, qu’est-ce qui t’a poussée à prendre ce «virage littéraire» et à nous partager tes réflexions sur le temps, l’argent et le bonheur, notamment?
«Je n’ai pas l’impression d’avoir écrit un livre de croissance personnelle. Mais c’est peut-être de la décroissance personnelle. Depuis que je suis publiée, je fais des salons du livre et les gens me posent souvent la question. Comment est-ce que j’ai fait pour sortir de la course? Pour abandonner un métier avec un bon salaire, une sécurité d’emploi et un fonds de pension afin de vivre du métier d’écrivain, le métier le plus précaire qui soit?»
«En 2018, j’ai décidé de mettre les réponses que je leur donne par écrit. Mon livre contient en partie mon parcours, mais il est aussi le fruit des recherches que j’ai faites au fil des ans quand je voulais comprendre pourquoi on courait autant. Pourquoi on s’endettait autant. Pourquoi on avait autant besoin d’antidépresseurs, de drogues, d’alcool, de sucre, d’Internet et de magasinage. J’ai trouvé des réponses surprenantes, comme la différence qui existe entre le plaisir et le bonheur.»
Entre autres, tu te bases sur de multiples références scientifiques, littéraires et cinématographiques, pour amener tes lecteurs à «doucement prendre conscience de la société de consommation dans laquelle nous vivons», en plus de leur donner des outils pour mieux amorcer leur propre processus de décroissance individuelle. Comment as-tu toi-même réalisé cela, au départ, et qu’est-ce qui t’a donné envie de prendre un certain recul pour ensuite te tourner vers un nouveau mode de vie?
«J’ai longtemps vécu à 100 milles à l’heure, avec des dettes et tout plein de bébelles. Puis, un de mes amis, qui avait pris une préretraite pour peindre, a eu un ACV. Il a été paralysé d’un côté et il est mort peu de temps après. Mais avant de mourir, il m’a donné le meilleur conseil que j’aie reçu de ma vie. Il savait que je voulais devenir écrivaine, mais que, prise dans la machine comme je l’étais, je ne pouvais pas imaginer quand je me mettrais à écrire.»
«Mon ami m’a dit: “N’attends pas de prendre ta retraite pour écrire parce que tu ne sais pas si tu vas te rendre jusque-là. Ni dans quel état.” Il m’a dit ça sur son lit d’hôpital, en agitant le seul bras qu’il pouvait bouger. Ça m’a rentré dedans, et j’ai senti dans mes tripes que j’étais en train de passer à côté de ma vie. Je me suis arrêtée et j’ai tout remis en question. C’est comme ça que j’ai réussi à devenir écrivaine à temps plein alors que c’était inimaginable au Québec, même à cette époque-là.»
Comment l’année hors du commun que nous venons de vivre, sur fond de pandémie mondiale et de restrictions sanitaires, t’a-t-elle confortée dans l’idée qu’il est temps de revenir aux petits bonheurs essentiels et à la simplicité volontaire, justement? On aimerait beaucoup que tu nous confies si tu as eu l’occasion de découvrir encore de nouvelles choses en ce sens!
«L’année que nous venons de vivre m’a étonnée parce qu’elle a confirmé ce que j’avance dans Trop, c’est comme pas assez. Or, au moment où j’écrivais ce livre, mes idées, bien que basées sur l’expérience, l’observation et la lecture, relevaient encore d’une forme de spéculation. Quand tout a été fermé du jour au lendemain, quand il a été interdit de se rassembler, quand des milliers de personnes ont perdu leur emploi sans préavis, nous avons été forcés de regarder les choses en face et de voir de quoi avaient réellement l’air notre vie et nos finances personnelles.»
«Le fait d’être privés de nos rituels, des célébrations en famille, des repas entre amis nous a fait sentir à quel point la présence des autres était importante. Tout cela, je l’avais déjà compris. Ma grande surprise, ça a été de découvrir que nous avions aussi besoin de contacts physiques. Les poignées de main, les accolades, les embrassades. Tout ce par quoi on partage des microbes – les bons comme les mauvais –, mais aussi la chaleur humaine. Même la proximité des autres corps nous manque. Quand on se trouve dans un cinéma ou dans un restaurant, à deux mètres de distance les uns des autres, nous ne vivons pas du tout la même expérience. Il faudra que je fasse un peu de recherche là-dessus.»