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Crédit photo : Tous droits réservés @ Pexels. Montage: Mathilde Recly
Skidamarink, un pari réussi?
Dans ce premier livre, l’intrigue est somme toute assez simple à comprendre: alors que les prochaines élections américaines sont sur le point d’avoir lieu, le mythique tableau de La Joconde est volé au Louvre et découpé en morceaux. Ces fragments sont envoyés à quatre personnes qui ne se connaissent pas, et qui sont appelées à se retrouver dans une chapelle toscane, sans explication ni mise en contexte. À prime abord, ce scénario a des faux airs du Da Vinci Code de Dan Brown… Et pourtant, avec Skidamarink, Musso avait quatre ans d’avance sur ce fameux best-seller américain!
Dans les points forts de ce roman, on ne peut évidemment pas passer à côté de l’aspect visionnaire de l’écrivain français. En effet, il présente tout au long du livre un point de vue juste et précis concernant des sujets d’actualité tels que l’intrusion des technologies et le vol des données, l’écrasement de la minorité noire aux États-Unis, la fragilité de la démocratie en place dans ce pays (à croire qu’il avait senti venir Donald Trump), ou encore les tensions entre la Chine et l’Amérique. On aime aussi les réflexions sur la société de 2001, qui résonnent encore en nous aujourd’hui – plus que jamais. Car, sans devenir moraliste, Musso exprime ses ressentis face à la montée de l’individualisme, cette «[…] philosophie envisageant l’individu en tant que seule réalité à privilégier et se refusant à considérer les problèmes humains de façon collective». Disons-le, ceci vient particulièrement nous chercher dans un contexte pandémique où l’effort collectif est parfois saboté par le comportement égoïste de chacun.
Nous nous plaisons aussi à noter les prémisses de ce qui est devenu la marque de fabrique de Musso, avec le chapitre 14 intitulé «Romance à Manhattan». Fidèle à lui-même, l’auteur nous plonge dans l’atmosphère magique de la Big Apple, même si ce n’est qu’une brève partie de l’histoire qui a lieu à New York dans ce livre, contrairement à ceux qui suivront.
Du côté de ce qu’on a moins apprécié, on note quelques manques de vraisemblance. En effet, pourquoi ces quatre étrangers (qui reçoivent un bout du tableau de La Joconde assorti d’une citation mystérieuse) acceptent-ils de se rendre dans une chapelle italienne et de se rencontrer, au lieu d’appeler la police? Ceci a été mon plus gros frein à embarquer dans l’histoire.
Dans un autre registre, il y a une scène qui est un peu à l’eau de rose, contrairement au ton qui est utilisé dans tout le reste du livre. Dans celle-ci, Musso y décrit les retrouvailles romantiques de l’un des personnages avec la personne qui lui a brisé le cœur: ce passage est peut-être un peu trop cheesy, à mon sens.
Enfin, à la toute fin du livre, Guillaume Musso nous fait découvrir les critiques que la presse avait publiées au sujet de son livre, lors de sa parution en 2001… Et on se rend compte que certaines incohérences ont été corrigées dans cette réédition. Par exemple, dans la version originale, l’auteur avait parlé des morceaux de la toile de La Joconde, alors qu’il s’agit d’une peinture sur bois. C’est dommage: alors que Musso parle, en préface, d’une «version à peine toilettée» en 2020, on comprend que celle-ci est corrigée de ses plus grosses invraisemblances et erreurs de débutant. Certains y verront peut-être une valeur ajoutée, toutefois.
La vie est un roman, quand la fiction se mêle à la réalité
Dans ce plus récent livre, Musso nous plonge dans la vie des écrivains et adopte la forme chorale en nous glissant alternativement dans la peau de quatre personnages: Flora Conway, Fantine de Vilatte, Romain Ozorski et son fils Théo. Il opte pour un récit à l’image des poupées russes, où l’intrigue et les liens entre les protagonistes se révèlent par le biais d’une histoire emboîtée dans une autre histoire. Tantôt à Brooklyn, tantôt à Paris, le lecteur se fait balloter de surprise en surprise, de rebondissement en rebondissement.
J’ai aimé cette volonté toujours présente de dresser un portrait de notre société actuelle et de ses dérives. Au fil des pages, il parle de la lassitude de la vie sur les écrans; il fait référence au «clic-bête» avec des «lecteurs abêtis par la servitude du clic» et critique aussi les journalistes de bas étage, les paparazzi et le côté vautour et inhumain qui poussent à bout ceux qui sont poursuivis. Par ailleurs, il fait référence à l’infotainment, cette volonté de faire de l’audimat et du lectorat sur le malheur de ceux qui sont traqués à la façon d’un feuilleton télévisé.
On note aussi que l’intrigue est plutôt bien ficelée, avec une mince frontière entre fiction et réalité. Ce qui se passe dans la vie «supposée réelle» de l’écrivain (Romain) influence la destinée de son personnage «fictionnelle» (que je ne nommerai pas pour ne rien révéler du punch). De plus, on apprécie la force des personnages qui sont très bien construits: on embarque ainsi facilement dans leur façon de penser et de voir les choses. Leur profil psychologique est bien travaillé et on passe habilement de l’un à l’autre.
Ce qui marche moins, à mon avis? On est, certes, un peu déçu que Musso «dévoile sans dévoiler» la vie des écrivains. Car c’est à travers ses personnages qu’il partage les pensées et les ressentis que peuvent avoir les romanciers (comme lui?) Et, au bout du compte, on ne sait pas forcément si c’est exactement ce qu’il ressent, ou si c’est seulement ce qu’il a noté chez certains de ses collègues. On aurait peut-être aimé une prise de position un peu plus claire sur la vie et le métier d’un auteur.
Aussi, Musso a toujours cette petite tendance à aimer flirter avec la limite du réalisme, parfois un peu trop. Par exemple, le fils de Romain (7 ans à peine) qui arrive à échapper à la surveillance et à monter dans un avion tout seul de New York vers Paris est encore un revirement un peu tiré par les cheveux.
Toutefois, on voit que le romancier français a pris de l’expérience: il sait très bien amener l’histoire pour qu’on rentre dedans et qu’on comprenne que lui-même sait que c’est surréel – voire presque impossible à croire. Il joue autour de ça et met l’accent sur le côté du «miracle» qui s’est produit dans ce cas-ci.
En conclusion, mis à part le début de l’histoire dans lequel j’ai eu du mal à embarquer avec le côté trop «gros» de l’intrigue, Skidamarink prouve que Guillaume Musso avait déjà le don du page turner alors qu’il publiait son tout premier roman.
Cela dit, La vie est un roman démontre, quant à lui, qu’il a pris de l’expérience et de l’assurance dans son écriture, puisqu’il arrive à jongler avec l’invraisemblable sans gâcher le fil narratif. Grâce à des personnages de mieux en mieux construits et une intrigue globalement mieux ficelée, c’est son dernier livre qui l’emporte! Chapeau, Musso!