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Crédit photo : Éditions Gallimard
La vie mensongère des adultes prend place durant les années 70, dans une ville bien connue des lecteurs d’Elena Ferrante: Naples. Cette fois, nous suivons une jeune bourgeoise, Giovanna, fille unique d’un couple de professeurs menant une vie aisée dans les hauteurs, où se situent les quartiers riches.
Giovanna est adulée par ses parents, particulièrement son père, jusqu’à son entrée au collège où ses notes se mettent à chuter. Surprenant une conversation entre ses parents, l’enfant entend son père la comparer à la tante Vittoria, dont la réputation maléfique a marqué l’enfance de Giovanna. Cet homme, que sa fille croyait «toujours gentil» la qualifie soudainement de «très laide».
Ébranlée par ces paroles, Giovanna sent le doux cocon qu’avait été jusque-là son enfance se fissurer. Sa perception d’elle-même est altérée, et la jeune fille se trouve précipitée dans une quête d’identité qui l’incitera à rencontrer cette tante dont l’aura sombre rappelle celui de la mauvaise fée des contes.
Simple domestique résidant dans un quartier pauvre, femme courageuse à jamais fidèle à un amour disparu, Vittoria deviendra vite un modèle pour sa nièce. Cette dernière découvre le monde sous un nouveau jour, complètement à l’inverse de ce qu’elle a toujours connu, ainsi que des secrets de famille qui lui apprendront le caractère complexe de la vérité. À travers ces changements, le cocon de l’enfance finit par s’effondrer et se répandre en mille et un fragments.
À l’image de son prédécesseur, L’amie prodigieuse, La vie mensongère des adultes se présente comme un roman d’apprentissage au féminin: au cœur de l’histoire sont les amitiés de ses personnages féminins, chacun relié au récit par un bracelet qui passe de poignet en poignet, d’un héritage et d’un mensonge à l’autre. L’éducation se fait sans pitié: Giovanna ne quitte l’enfance que lorsqu’elle fera l’apprentissage du mensonge et de la vérité. Dans sa quête d’elle-même, elle apprend à mentir à ses parents et à ses meilleures amies afin de préserver son intimité et d’explorer son identité en toute liberté.
Elena Ferrante a également récupéré ses thèmes fondateurs pour son nouveau roman: l’identité, les inégalités sociales, le féminisme, la loyauté, la trahison et Naples. La psychologie complexe et mystérieuse des personnages principaux n’est pas sans rappeler le duo de Lila et Lenù qui a séduit le monde entier. La fin demeure elle aussi fidèle à la tradition: elle s’avère énigmatique et donne envie d’en lire davantage.
Peut-on pour autant affirmer que La vie mensongère des adultes n’est qu’une copie de L’amie prodigieuse, comme l’ont affirmé quelques critiques? Il faut se souvenir de Milan Kundera, dont l’œuvre entière constituait en des variations sur un même thème.
Une histoire peut être de fait racontée des dizaines de fois sous différents angles: le potentiel d’un récit ne s’épuise pas toujours en une seule œuvre. Elena Ferrante se place d’une certaine manière comme une héritière kundérienne, et renouvelle les thèmes qui lui sont chers afin de les creuser un peu plus. Sa plume n’a rien perdu de son caractère imagé ni de sa fluidité bien maîtrisée qui contraste à merveille avec la dureté des univers qu’elle imagine.
Si les rumeurs sont vraies, Elena Ferrante pourrait bien préparer une suite à l’histoire de Giovanna, qui amènera peut-être des réponses aux questions laissées en suspens à la fin du récit. En attendant, Netflix a déjà annoncé une adaptation du livre en série, ce qui devrait permettre aux plus fervents admirateurs d’Elena Ferrante de patienter.
La vie mensongère des adultes d’Elena Ferrante, Éditions Gallimard, collection Du monde entier, 416 pages, 39,95 $.
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