LittératureDans la peau de
Crédit photo : Benoît Guérin
Mireille, en plus d’avoir été une gestionnaire engagée dans la démocratisation de l’accès à la culture et à l’information, tu as nourri ta passion d’autrice depuis plus de 35 ans! Dis-nous tout: quel a été ton déclic pour la culture en général, et qu’est-ce qui t’a menée en particulier vers le chemin de l’écriture?
«En réalité, mes débuts en écriture datent de plus de cinquante ans. Je m’y suis mise au décès de mon père, survenu lorsque j’en avais treize. C’était une question de survie, un besoin accentué par le déménagement dans une ville où je n’avais ni amis, ni repères. Évidemment, les choses se sont tassées, mais l’écriture est restée. J’ai d’abord cru que je tenais un journal avant de réaliser que j’écrivais plutôt de la poésie. Ce n’était pas tant les événements extérieurs qui m’intéressaient, que ce qui se passait en moi et les découvertes que me permettaient mes tentatives de mettre en mots mes émotions. C’est toujours un émerveillement, d’ailleurs, de voir où le fait de s’asseoir patiemment, sans s’agiter, peut nous mener.»
«J’ai vécu dans la Beauce jusqu’à l’adolescence, à une époque où, en région, les activités culturelles se faisaient rares. Je profitais de toutes les opportunités, mais la seule offre qui a perduré portait sur des cours de piano. J’en ai suivis pendant des années, heureuse de la solitude habitée qu’offrait la musique. Mon histoire personnelle m’a démontré que culture et poésie aident à vivre, et j’ai basé ma vie professionnelle sur la conviction que chacun avait droit à l’information et à la beauté, quelles qu’en soient les formes. Contribuer à les partager, tant comme bibliothécaire qu’à titre de gestionnaire de Maisons de la culture, a été un bonheur.»
Au fil des ans, tu as notamment publié des recueils de poésie, une œuvre de fiction, et même un album contemplatif mettant à l’honneur des illustrations de Stéphane Jorisch. Quel plaisir trouves-tu à varier et à explorer les différents genres dans tes créations littéraires?
«Chaque genre pose ses défis et chacun nous permet d’explorer notre imaginaire, parfois, comme pour l’album, en le confrontant avec celui d’un autre. C’est une démarche dans laquelle on apprend à se connaître en tant qu’écrivain, mais aussi, en tant que personne. J’ai ainsi constaté que ne suis pas une conteuse, bien que j’aurais aimé l’être.»
«J’apprécie les formes courtes et j’adore l’intensité de la poésie. Est-ce une façon de me prémunir contre l’angoisse de la coureuse de fond? Peut-être. Voilà une piste que je pourrais tenter de vérifier. Apprendre et découvrir demeurent des privilèges dont j’entends profiter le plus longtemps possible.»
Ton plus récent recueil de poésie, Le cœur-accordéon, est paru le 25 août dernier aux Éditions du Noroît. Peux-tu nous parler de tes inspirations et des sujets abordés au détour des poèmes qui peuplent ce livre?
«Le cœur-accordéon a été écrit sur une année, d’un presque printemps à la fin de l’hiver suivant. Je me suis fixé l’objectif de respecter ce qui émergeait au fil des jours, tant dans ma vie personnelle que dans les échos que l’actualité avait en moi, sans censure ni jugement, ce qui n’empêche pas le travail sur l’écriture, bien sûr. Je n’ai pas réordonné les textes en fonction des thèmes, comme je l’ai fait pour les recueils précédents et comme je le ferai pour le suivant.»
«En même temps, des motifs se développent, reviennent, se croisent. C’est un livre où l’amour et l’amitié tiennent une grande place, et où j’aborde aussi le passage des enfants dans nos existences, de voyages, de violence, de changements climatiques, de politique… On sent le cycle des saisons avec leur charge d’éclosions ou de solitude, d’espoir réinventé. On cherche la place de l’humanité dans le désordre qu’elle sème et j’en conclus qu’avec ou sans elle, la vie continue, têtue et rémanente. C’est un constat qui m’apaise.»
Selon toi, qu’est-ce qui distingue Le cœur-accordéon de tes trois précédents recueils (Jours de cratère, L’onde et la foudre et La pierre dorée des ruines) – du point de vue du style adopté, de ton écriture, ou même de ta façon de faire voyager l’imaginaire du lecteur?
«Vingt ans séparent la parution de La pierre dorée des ruines de celle du Cœur-accordéon. Mon expérience s’est enrichie de mes pertes, de ma vie de mère et de mes révoltes de citoyenne, souvent impuissante. De personnelle, ma colère est devenue sociale. Par ailleurs, j’accueille davantage les nuances et les émotions contradictoires.»
«Je crois qu’en art comme dans la vie, il faut du temps pour parvenir à la simplicité, mais j’y travaille et j’évolue vers davantage de dépouillement et de lisibilité. Je pratique une poésie que j’espère de plus en plus concrète, directe et évocatrice, sans hiérarchiser les sujets ou les moments. J’essaie d’éviter les abstractions et de ne conserver d’un texte que ce qui est nécessaire.»
«En outre, la rupture de vers continue de me fasciner. Si je coupe un vers avant ou après tel mot, quel effet cela produit-il? Où se porte l’attention? Enfin, je me préoccupe toujours de la musicalité de mes textes, que je lis plusieurs fois à haute voix avant de les considérer comme terminés.»
Tu sembles faire montre d’une grande ouverture d’esprit, toi qui aimes collaborer avec différents artistes et créateurs à travers ta profession. Si tu avais carte blanche pour un projet qui t’occupe l’esprit depuis longtemps, quel serait-il et avec qui aimerais-tu t’entourer pour le réaliser?
«La fréquentation d’artistes d’autres disciplines ou générations m’intéresse et m’aide à me renouveler, de la même manière qu’un regard d’écrivain enrichit celui des autres contributeurs à un projet. Récemment, j’ai pu accompagner une cocréation de la chorégraphe Sara Hanley réalisée avec la communauté Sourde et malentendante. J’y ai adopté la posture de participante et non celle d’observatrice, et il en résulte des textes visant non pas à décrire le projet et ses étapes, mais à les faire revivre de l’intérieur.»
«Actuellement, je rêve de suivre un moment la démarche de scientifiques qui travaillent sur l’infiniment petit ou l’infiniment grand. Il faut une telle capacité d’abstraction pour oeuvrer dans ces domaines! À ces dimensions où se fracasse l’imaginaire de la plupart d’entre nous, il me semble que la recherche devient métaphysique. Les chercheurs savent concilier rigueur et imagination.»«
«Mais comment fait-on pour réfléchir l’infini, le temps, sans se dissoudre dans l’angoisse? Comment y trouve-t-on le sens de sa propre, minuscule vie? Quelles sont alors les joies, les victoires, les détresses? J’aimerais participer à un tel processus et modestement, discrètement, exprimer en poésie ma curiosité et mon admiration.»