ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Les sièges distanciés, bien qu’ils soient le cauchemar éveillé de tout secrétaire-trésorier du secteur culturel, sont pour le spectateur aguerri une version simplifiée du paradis. Finis les conversations intempestives sur votre gauche et les toussotements indiscrets à quelques millimètres derrière vous. Il ne manque qu’un divan confortable pour faire de la représentation théâtrale un luxe décadent.
Asseyez-vous dans la spacieuse salle du Quartier des spectacles, donc, et laissez Emmanuel Schwartz entrer en scène en prenant tout son temps, et commencer à vous raconter une histoire qui vous stupéfiera. Soyez émerveillés qu’il ait pris un tel coup de vieux en seulement quelques mois. Retenez votre souffle, et suspendez votre incrédulité.
Le bibliothécaire hollandais voûté et maniéré qu’il incarne a loué la salle dans laquelle vous vous trouvez pour un soir seulement, en raison de son prix prohibitif, et vous parle de son enquête méthodique – bien que légèrement obsessionnelle – suite à la trouvaille, un bon matin dans le dépôt de nuit, d’un livre emprunté 133 ans auparavant. Une fascinante prémisse, tout de même.
Le texte de l’Américain Glen Berger, Underneath the Lintel, traduit par Serge Lamothe, est bâti pour solidement appâter le spectateur et lui assener des révélations à un rythme soutenu. François Girard, réalisateur notamment des films Le violon rouge (dont la trame sonore a remporté un Oscar) et Hochelaga, Terre des âmes, signe ici une mise en scène minutieuse et précise, dont la mécanique se dévoile très lentement, puis prend de l’ampleur à mesure que l’intensité du récit se déploie.
Les projections vidéo de Robert Massicotte, tout d’abord très discrètes, gagnent du terrain en même temps que le rayon géographique de l’enquête s’élargit. On visite New York et la Chine, Londres et l’Australie, avec un narrateur de plus en plus fiévreux, qui ponctue son récit de quelques regrets qui cherchent sans doute à expliquer son célibat et ajouter de la profondeur au personnage, mais qui semblent étrangement déplacés et menacent à quelques reprises de briser le rythme de son histoire.
C’est un Emmanuel Schwartz complètement transformé qui tient cet improbable et fantastique récit à bout de bras, prenant peut-être goût aux solos après le véritable tour de force qu’il nous a offert en 2018 au Théâtre de Quat’Sous dans Le tigre bleu de l’Euphrate.
Armé d’un accent parfois inégal auquel on s’habitue cependant rapidement, la posture rigide du vieux garçon qui tolère difficilement l’inconséquence et l’indiscipline, il parade sur scène dans une puissante mise en abîme, s’adressant à des spectateurs imaginaires pour le plus grand plaisir d’une audience en chair et en os, brandissant des pièces à conviction qu’il considère comme des «rebuts», et transmettant au public sa ferveur obsessive.
Ce mystère mythique bénéficie aussi de la musique d’Alexander MacSween, qui vient appuyer subtilement les révélations inusitées qui se multiplient sur scène. Pour les amateurs d’oralité, de thrillers mystiques ou de contes modernes, cette production n’est rien de moins qu’une bénédiction.
«Zebrina. Une pièce à conviction» en photos
Par Yves Renaud
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de la rédaction