ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Une écriture précise, rythmée et percutante
«L’histoire de Rouge a été inspirée par une histoire vraie, une anecdote assez originale», explique Olivier Normand. En effet, le texte parle du peintre américain Mark Rothko qui, à la fin des années 1950, recevait la plus grosse commande d’œuvre de l’histoire de l’art moderne encore jamais enregistrée: le Seagram Building, à New York, offrait à l’artiste une avance de 35 000 $ (l’équivalent de 2 millions de dollars aujourd’hui) pour réaliser une immense murale, qui serait ensuite présentée dans son nouveau restaurant chic, The Four Seasons.
Cette situation hors du commun a donc fait office de prémisses pour le dramaturge John Logan, qui nous plonge dans l’atelier de Rothko, s’affairant, aux côtés de son jeune assistant, pour tenter d’honorer la fameuse commande. Mais à mesure que le temps avance, on découvre petit à petit la relation déséquilibrée de maître à élève entretenue par les deux personnages… jusqu’au moment où le rapport de forces s’inverse!
Selon Olivier Normand, la qualité de l’écriture est l’une des grandes forces du spectacle: «John Logan est un auteur qui a commencé par le théâtre, avant d’être vite rattrapé par le cinéma. Il a écrit des scénarios de films tels que L’aviateur ou Skyfall. Cette efficacité cinématographique se retrouve dans la pièce; ses scènes sont extrêmement bien construites», s’enthousiasme notre interlocuteur. «Il n’y a pas de longueur et, historiquement, c’est très intéressant de voir comment il a dramatisé des éléments pour que ça ne soit pas didactique, mais qu’au contraire ça vienne renforcer l’action. Les scènes sont tellement rythmées! Tous les bouts se rattachent ensemble, et la réflexion nous suit longtemps après le spectacle.»
Un décor d’atelier évolutif et une belle dynamique de jeu
Du point de vue du décor et de la mise en scène, Olivier Normand, aidé de son assistante Élizabeth Cordeau Rancourt, a décidé de faire une mise en scène très réaliste. Ainsi, pinceaux, crayons, grand chevalet roulant et toiles immenses se multiplient à mesure que le spectacle avance. «Le travail d’atelier est très intéressant à voir. Ensemble, on a donc tout établi très tôt en répétitions pour qu’on puisse se plonger dans cet univers et qu’on puisse voir que la peinture – comme le théâtre – est un art extrêmement concret, en plus d’être un art de la réflexion et de la création.»
D’ailleurs, cet atelier sert aussi très certainement de huis clos pour exacerber les émotions des deux personnages. Même si Olivier Normand admet que diriger deux acteurs seulement a été son plus gros défi (le metteur en scène est un habitué des distributions d’une quinzaine d’acteurs), il demeure très content.
«La dynamique entre les deux acteurs est vraiment l’fun. Cela se passe tout le temps dans un contexte de concentration, avec en plus les émotions, les pensées ou l’argumentation qui embarquent. Parallèlement à ça, on observe tout le travail physique que les deux personnages accomplissent. Ils tendent le canevas sur un cadre, ils sablent, ils peignent un grand format de peinture, ils font des esquisses… Tout le travail manuel rend le spectacle vivant et nous montre le quotidien de deux personnes qui se retrouvent pendant deux ans enfermées dans le même atelier.»
Le lègue d’une génération à une autre
Au final, le message qui ressort principalement de Rouge est la question du lègue d’une génération à une autre. Car, comme le souligne le metteur en scène, à travers la relation de maître à élève qu’entretiennent Rothko et son assistant, le texte parle de quelque chose de très présent sur le devant de la scène ces temps-ci.
On pense notamment à la semaine de l’expression «OK boomers», où les jeunes Américains de la génération Z exprimaient leur frustration face aux baby-boomers, notamment en ce qui concerne la question du changement climatique. «Cette expression a commencé à devenir très populaire quand on a entamé le travail de mise en scène de Rouge, et cette question de la relation entre les générations est au cœur des préoccupations.»
En fait, la confrontation entre générations semble inévitable au fil du temps. «Est-ce qu’il faut qu’ils [les baby-boomers] s’en aillent, est-ce qu’ils ont quelque chose à nous apprendre? Est-ce qu’il faut qu’ils acceptent que ce n’est plus leur tour? Ce questionnement est au centre de Rouge: c’est une pièce autour de la peinture et sur l’art, mais c’est aussi une pièce sur les générations et sur leur cohabitation. Elle met en lumière ce qu’une génération lègue à une autre, et ce que la nouvelle veut de ce lègue – ou pas», conclut ainsi le metteur en scène.
La pièce Rouge de John Logan est présentée à La Bordée de Québec du 25 février au 21 mars 2020. Pour acheter vos billets, cliquez ici.
*Cet article a été produit en collaboration avec Théâtre La Bordée.
La pièce «Rouge» en images
Par Nicola-Frank Vachon