LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Jonathan Lorange-Millette
Monia, tu es née en Tunisie et tu as décidé d’immigrer au Canada en 1991 pour t’installer à Ottawa, où tu vis présentement. Pourquoi as-tu décidé de t’éloigner de tes racines, et qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans l’écriture?
«Je suis arrivée au Canada principalement pour deux raisons: la première, c’est que je voulais terminer mes études universitaires. Je voulais entamer une maîtrise en finances et le Canada m’offrait les universités et les programmes qui m’intéressaient. L’autre raison était d’ordre, disons, politique. La situation en Tunisie devenait étouffante pour toute personne qui avait des idées ou des opinions en opposition avec le régime policier de l’époque. À l’époque, mon choix d’adopter une vie spirituelle m’a automatiquement placée dans le camp adverse, sans que je sois réellement une opposante politique. Ma nouvelle vie au Canada m’a permis de vivre librement et de poursuivre ma quête intellectuelle.»
«Je suis venue à l’écriture il y a plus de dix ans par un chemin plutôt inhabituel. Même si j’ai toujours eu la passion de la lecture et de l’écriture, c’est seulement après le retour de mon mari de prison que j’ai décidé de commencer à écrire des livres.»
En 2008, aux Éditions du Boréal, tu publiais Les larmes emprisonnées, un récit poignant au centre duquel tu racontes le combat que tu as mené pendant plus d’un an pour libérer ton époux, Maher Arar, alors déporté en Syrie. L’écriture de ce premier récit a certainement dû te demander une bonne dose de courage. Peux-tu nous raconter brièvement les grandes lignes de cet événement marquant?
«En effet, Les larmes emprisonnées est le premier livre avec lequel je me suis fait connaître en tant qu’auteure. En 2002, mon mari, Maher Arar, ingénieur en télécommunication, a été injustement arrêté par les autorités américaines, puis secrètement envoyé en Syrie dans un avion «fantôme». Il a subi la torture et l’abus physique et psychologique pendant plus d’un an. Il n’a jamais été accusé d’aucun crime. Son seul «crime» était qu’il est un homme éduqué et musulman pratiquant, dans un monde après les attaques du 11 septembre 2001. Ma vie a basculé. Alors que je rêvais d’une carrière académique, je me suis retrouvée tout d’un coup mère monoparentale avec deux jeunes enfants, sans soutien financier, et de surcroît en train de défendre un mari emprisonné en Syrie soupçonné d’activités terroristes.»
«Mon récit décrit ma vie de l’époque, mon combat politique et médiatique pour libérer mon mari, et mes efforts pour ne pas perdre espoir dans un gouvernement canadien qui nous a trahis.»
Pour faire suite à Du pain et du jasmin, ton deuxième livre placé en plein cœur de la Révolution arabe, tu as décidé, avec Farida, de rendre hommage à une génération de femmes ayant marqué l’histoire de la société tunisienne de nos jours. Qu’est-ce qui t’a donné l’élan d’inspiration nécessaire à l’écriture de cette histoire?
«Certainement la vie de ma grand-mère. Farida n’est pas ma grand-mère, mais elle aurait pu l’être. Farida veut dire en arabe «rare ou unique». Certes, c’est un destin rare d’une femme qui a vécu, peut-être, en avance de son époque. Une femme qui a usé de son intelligence et de son éducation pour survire dans un monde d’hommes, et surtout dans un monde structuré pour confiner les femmes à des rôles qu’elles n’ont pas toujours choisis.»
«C’est un livre qui nous fait réfléchir sur la situation des femmes peu importe où et quand elles ont vécu, et de quelle appartenance religieuse ou culturelle elles sont. Le mouvement #metoo m’a permis de mieux comprendre ce que ma grand-mère, ma mère, ma fille et moi-même et toutes les autres femmes d’ici et d’ailleurs ont toutes en commun: vouloir vivre et choisir.»
Ton dernier roman, publié aux Éditions David, est disponible en librairie depuis le 28 janvier. Quel message espères-tu faire résonner dans la tête de tes lecteurs et de tes lectrices avec cette récente parution?
«Le roman Farida est une histoire d’espoir. Oui, les femmes ont subi, que ce soit en Tunisie, au Canada ou ailleurs. Elles ont subi la domination du patriarcat, du colonialisme, de la pauvreté, des hommes et plein d’autres choses. Mais elles sont toujours là. Debout et combattantes. Farida est partie, mais je suis encore ici, portant ses combats à ma façon. Farida me donne espoir pour continuer mon chemin, celui que j’ai choisi.»
Gérard de Nerval a un jour déclaré: « L’expérience de chacun est le trésor de tous ». Toi, as-tu été marquée par l’expérience d’un auteur ou d’une auteur(e) contemporain(e) dont le récit t’a ouvert grand les yeux jusqu’à, peut-être, t‘influencer en tant qu’auteure? Si oui, dis-nous en quoi il t’a inspirée.
«Oui, j’y crois. En tant qu’auteure ou créatrice, on ne commence jamais à zéro. Il y a toujours un terreau fertile préparé par les autres. Un livre qui m’a donné le goût d’écrire Farida est celui du célèbre auteur du prix Nobel de littérature turc Orhan Pamuk. J’ai adoré son livre, qui s’intitule Cette chose étrange en moi. À travers les yeux du personnage principal, un vendeur de yaourt qui déambule dans les rues d’Istanbul, on voit la ville changer, ses habitants et le personnage lui-même aussi. Avec Farida, j’ai essayé de décrire deux choses à la fois: l’état d’âme d’une femme et la ville qui l’a vue grandir.»