ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzane O'Neill
Si l’enjeu dramatique tarde à se manifester dans cette œuvre récente (2018) de Dennis Kelly, son impact est pourtant monumental. On y fait la rencontre d’une femme sans nom – incarnée par une Marilyn Castonguay complètement investie – qui livre au public son témoignage candidement, en débutant par un bref récapitulatif de sa vie amoureuse avant qu’elle rencontre le père de ses enfants.
Le choix de faire un parallèle avec un spectacle d’humour, profondément réfléchi par le metteur en scène Denis Bernard, est non seulement un clin d’œil à un Montréal où l’humour a remplacé la religion, mais aussi une façon de nous cajoler avant de nous assener le coup de grâce.
Dans une traduction très punchée signée Fanny Britt, le texte de Kelly multiplie les pointes et les phrases choc, décore le parcours de notre protagoniste en jonglant de manière créative avec les jurons, et rythme ce monologue qui, tout en provoquant chez le spectateur un certain effarement, non seulement par son audace, mais aussi par les longs détours qu’il emprunte avant d’en arriver au but, est parfois interrompu par des segments où notre héroïne semble aspirée par des flashbacks où elle peine à maîtriser sa fille et son fils, deux enfants pleins de vie, à la personnalité à la fois complexe et attachante.
Sur scène, l’actrice performe devant un mur amovible rempli d’éclairages, dont les parois s’ouvrent en même temps que l’histoire se développe et progresse vers son inéluctable coup de théâtre. Son plaidoyer est une rare plongée dans la psyché d’une victime, une autopsie du malheur, une lente reconstruction des circonstances pouvant mener un individu à refuser de sortir du cul-de-sac et de perdre à jamais sa perspective.
Si cette œuvre parle de violence, elle le fait tout d’abord avec subtilité, en proposant des pistes de réflexion fatalistes mais lucides, et une conclusion statistiquement inébranlable: une écrasante majorité des actes de violence sont perpétrés par des hommes. Ce constat est vieux comme le monde, mais dans une société dont l’humanité s’améliore progressivement, et où les injustices sont plus que jamais débusquées, même s’il reste du travail à faire, il est important de le marteler. De l’assimiler. De le digérer. D’y réfléchir collectivement.
La violence de l’homme, un lieu commun qu’il faut cesser d’accepter comme un fait établi.
«Les filles et les garçons» au Théâtre La Licorne en images
Par Suzane O'Neill
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de la rédaction