LittératurePolars et romans policiers
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«Stranger Things: Darkness On the Edge of Town» d’Adam Christopher • Lumen • 601 pages
La préquelle parfaite pour découvrir le sombre passé de Jim Hopper
Les fans de la populaire série télé – desquels je fais partie! – n’ont maintenant plus rien à se mettre sous la dent depuis la conclusion de la saison 3 des hyper encensés frères Matt et Ross Duffer. Quoique la saison 4 est à venir… mais, 2020, c’est encore loin quand on est vraiment impatient. Je parle pour moi.
Dans cette préquelle qui franchit le cap des 600 pages, le chef de la police locale d’Hawkins, Jim Hopper, se confie, avec force cafés bien noirs, à sa fille Elfe, qui a découvert dans la cave de la maison une boîte cartonnée sur laquelle il est inscrit «New York». Tiraillé à l’idée de raconter son passé obscur comme inspecteur de la NYPD à l’été 1977, Hopper n’aura d’autre choix, devant le regard glacial et les questions assaillantes de la jeune fille, d’ouvrir, résigné, un chapitre de sa vie qu’il avait cru jusqu’alors cadenassé à jamais.
C’est ainsi qu’on découvrira, dans un souffle narratif purement policier, l’une des plus grosses enquêtes à laquelle il a dû participer aux côtés de l’inspectrice Delgado: le démantèlement du gang des Vipères dans le Bronx.
Surtout, ne cherchez pas la touche magique du genre fantastique, car cette préquelle, certes bien écrite mais sans grands rebondissements, se dévore comme un bon roman policier, sans pouvoirs magiques, sans créatures horrifiques, et surtout, sans Russes fous prêts à tout pour sacrifier l’humanité afin de faire avancer le progrès scientifique.
«Lockdown» de Guillaume Bourque • Leméac • 219 pages
Vos vacances dans le sud n’auront jamais été aussi tendues
Je suis tombé sur une surprise royale du côté de Leméac: le second roman de Guillaume Bourque, qui avait fait sa marque sur la scène littéraire en 2013 avec Jérôme Borromée.
A priori, ce récit a tout d’une parodie noire du pur genre policier: une famille typiquement québécoise se rend dans un tout-inclus en République dominicaine pour lâcher son fou au cours de vacances que chacun espère aussi libératrice qu’une séance d’hypnose. Or, malgré le caractère caricatural de chacun des membres de cette drôle de famille, plus j’avançais, et plus j’ai compris qu’en réalité l’auteur nous transportait plutôt dans une histoire de mœurs où on allait en apprendre davantage sur les travers de l’humain.
Pourquoi s’intituler Lockdown, me demandez-vous? C’est parce que chacun des membres sera cloîtré (dans le sens d’être enfermés à clé, vous voyez) dans sa chambre, sans droit de sortie, comme lors d’un couvre-feu, alors qu’une enquête policière est en cours au Royal Oasis, leur tout-inclus de Puerto Plata. Et ils sortiront seulement lorsque le coupable sera démasqué… Mais qui est-ce? Car ils sont tous louches dans cette maudite famille!
C’est là que Guillaume Bourque marque des points: ses personnages sont plus grands que nature, et ils ont tous quelque chose à se reprocher. Du coup, on navigue en eaux troubles avec cette bande de farfelus qui arrivent à être autant attachants que détestables. J’ai adoré la finesse des dialogues, qui ajoutait une touche de réalisme, un peu moins les (trop) longs retours en arrière, qui freinaient le rythme de croisière.
«Bad» de Chloé Esposito • Fleuve • 376 pages
Alvie Knightly est (malheureusement) devenue une parodie d’elle-même
Ah! Celui-là je l’attendais avec impatience, et au final je l’aurai dévoré en moins de deux jours! Mais de peine et de misère. Car plus j’avançais dans le récit, et plus le personnage caricatural et grossier d’Alvie Knightly me tapait sur les nerfs. Comme si le fait de l’avoir apprivoisée dans le premier volet de la série, Mad, m’avait suffi pour l’éternité! Et pourtant, Dieu sait que j’ai bien aimé mon immersion dans l’univers de Chloé Esposito, avec ce style frais et cette ligne punchée qui a tôt fait le succès de sa série.
L’auteure prend ici bien le temps, en dressant la table, de rappeler à ses lecteurs les mille et une péripéties qu’a vécues Alvie dans le précédent tome: dans Bad, Alvie, salie par le sang de sa sœur Beth et des pauvres malheureux qui ont eu le malheur de croiser sa route, a une dent contre son amant, le sexy Nino, qui s’est barré avec toute sa fortune (deux millions d’euros, juste ça). Prête à tout pour assouvir sa soif de vendetta, Alvie va aller jusqu’à le retrouver à Rome (grâce à Tinder!), et tentera par tous les moyens de lui faire payer cher sa traîtrise…
Si je l’ai lu en si peu de temps, c’est que la plume de l’auteure britannique a ce don d’être accrocheuse à souhait. Et force m’est d’admettre qu’elle a le sens du dialogue, la petite dame! Même si je suis ressorti indemne de ce second tome, heureusement, je reste néanmoins sur cette bizarre d’impression qu’Alvie est devenue la parodie d’elle-même, et que l’enchevêtrement de ces péripéties toutes plus tirées les unes que les autres sont à l’image de ce personnage qu’on a vite envie d’oublier, vidé.
Espérons que Chloé Esposito saura trouver la pédale de frein, car oui, un troisième et dernier tome est à venir en 2020.
«Une soirée de toute cruauté» de Karo Hämäläinen • Actes Sud • 375
Un dîner entre «amis» qui vire mal, très mal
C’est toute qu’une belle surprise qu’on m’a réservée du côté de la collection Actes noirs, publiée chez Actes Sud, avec ce troisième roman du Finlandais Karo Hämäläinen, traduit pour la première fois en France. À la lecture du quatrième de couverture, j’étais déjà conquis: un huis clos hitchcockien où la tension monte jusqu’à la limite du supportable, voilà un roman qui vient faire vibrer mes cordes sensibles.
Tout de suite, le concept m’a remis en tête l’excellent film Le prénom, ou plus précisément Carnage de Roman Polanski, sorti en 2011. Dans ce dernier, Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly, deux couples de parents qui se retrouvent autour d’un souper après que leurs enfants respectifs se soient bagarrés, se retrouvent à bord d’une montagne russe d’émotions alors que leur soirée vire au chaos.
Une soirée de toute cruauté, c’est à peu de différences près le même synopsis, sauf qu’ici c’est un couple de Finlandais qui rend visite à un ami de longue date, installé dans la capitale de la Grande-Bretagne, avec sa nouvelle femme, ou son trophée, comme il se plaît à l’appeler si affectueusement.
Or, il n’est pas seulement question de voix qui montent en crescendo ou d’assiettes lancées dans les airs. Ici, l’un des invités a clairement l’intention de tuer l’hôte de la soirée, et possiblement aussi le reste de la tablée. Et c’est là où tout le plaisir repose: qui est l’assassin et quel est son motif?
L’histoire est rythmée entre les quatre voix narratives des quatre personnages, ce qui force le lecteur à apprivoiser chacun des convives, mais avec ce procédé narratif, l’auteur s’amuse à brouiller les cartes sur leurs mauvaises intentions. Arriverez-vous à deviner qui est le tueur aussi facilement qu’à Clue?
«Sous un ciel d’abîme» de Steve Laflamme • Éditions de l’Homme • 339 pages
Un roman policier qui se défend mais qui peine à capter l’attention
Je n’avais pas lu Le Chercheur d’âme (Éditions de l’Homme, 2017) avant de plonger pour la première fois dans l’univers de Steve Laflamme, un auteur originaire de Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, qu’on avait interviewé à l’occasion de notre série Dans la peau de…
C’est qu’il y a eu du remue-ménage dans la vie du détective Xavier Martel, dont la mère, Catherine, a été assassinée par un psychopathe. En plus, notre homme a dû réviser son parcours professionnel depuis sa débâcle au sein de la Sûreté du Québec. Et comme si ce n’était pas assez, Martel tient prisonnier l’assassin, sous bonne garde, à l’instar de Bruno Hamel dans Les sept jours du Talion. J’avais comme du rattrapage à faire…
C’est donc avec un pincement au cœur et une colère qu’il a du mal à extérioriser que le détective, aux côtés de sa partner Zoé Savary, enquête sur une nouvelle histoire, tout aussi sordide celle-là, à savoir celle d’une jeune femme de 35 ans, retrouvée morte dans son appartement de Saint-Sacrament, un peu après avoir baisé une escorte à cinq cents dollars de l’heure… Visiblement, la victime est liée à une organisation dangereuse avec laquelle il vaut mieux ne pas chercher noise. En parallèle, on suit Donatien Deveau, un jeune noir résidant à Montréal-Nord, bum à ses heures, qui désire quant à lui venger la mort de sa sœur Éloïse…
On suit en alternance deux protagonistes dont les histoires et les réalités évoluent en parallèle, et dont les destins semblent avoir frappé fort là où ça fait mal. Sauf que c’est là que le bât blesse: j’aurais personnellement misé sur la trame principale pour approfondir la psychologie de Martel, et pour explorer plus avant sa soif de vengeance et de torture physique et mentale à l’égard de l’assassin de sa mère, plutôt que d’accorder une fenêtre aussi grande à un Deveau auquel on ne s’attache pas du tout. C’est que je suis resté sur ma faim quant à certaines motivations du détective…
Sous un ciel d’abîme se défend bien en matière d’enquête policière, mais j’avais hâte d’arriver à la dernière page.
«La dernière chasse» de Jean-Christophe Grangé • Albin Michel • 397 pages
Le thriller le plus prévisible des Grangé… j’ai senti venir la finale à des milles à la ronde!
Cet auteur m’avait littéralement scié les jambes en deux avec L’empire des loups, un excellent suspense qui date de 2003, déjà, et dont je n’avais jamais vu venir le coup de théâtre, digne d’un tour de magie réussi! C’est que Jean-Christophe Grangé connaît l’art de surprendre son lecteur par derrière, et il a su faire ses preuves avec plusieurs de ses parutions, je pense ici à Kaïken ou Congo Requiem.
Cette fois, il revient aux Éditions Albin Michel avec une histoire de chasse à courre au cœur de la Forêt-Noire, une chaîne de montagnes du sud-ouest de l’Allemagne, à la frontière de la France. On y découvre une famille de milliardaires, les von Geyesberg, dont le quotidien a été chamboulé par l’assassinat de Jürgen, l’un des leurs. Un crime odieux sur la personne dont les mots sont insuffisants pour décrire l’état dans lequel a été retrouvé le macchabée… Les inspecteurs Niémans et Ivana vont mener leur enquête, avec un devoir de rendre des comptes à la police allemande, de laquelle ils se seraient bien passée. Qu’à cela ne tienne, plus ils avanceront dans leurs interrogatoires, et plus ils se rendront compte que les von Geyesberg semblent suspects à bien des égards…
Si le récit ne m’a pas renversé au premier abord, j’ai néanmoins aimé le style froid, franc et direct de Grangé, qui n’a pas l’habitude d’y aller avec le dos de la cuiller. C’est qu’il va droit au but pour dire franchement les choses. Par contre, le gros bémol de ce quatorzième roman, si je puis dire, c’est que le mobile est plus qu’évident, et j’ai même deviné qui en était le responsable. Et pourtant, Agatha Christie continue de me jeter de la poudre aux yeux chaque fois que je lis un de ses livres! Vous m’en direz tant.
«Le lambeau» de Philippe Lançon • Gallimard • 510 pages
Des mots pour décrire l’indescriptible
Il y a un moment que je le zieutais du coin de l’œil chaque fois que je me rendais dans une librairie. C’est qu’on dirait que je ne me sentais jamais prêt à me faire raconter le récit d’horreur qu’a vécu le journaliste français Philippe Lançon le 7 janvier 2015, défiguré suite à l’attentat contre Charlie Hebdo par les frères Kouachi.
Dans cet audacieux roman autobiographique, Lançon a fait le grand saut, comme s’il se jetait dans le vide, car en quelque sorte, il s’est forcé à revivre l’inimaginable pour écrire l’indescriptible et ainsi partager le calvaire que doit traverser les survivants d’un attentat terroriste.
En tant qu’habitué de romans policiers et de polars nordiques, je dois dire qu’on m’a souvent raconté des scènes de meurtre avec mille et un détails à couper l’appétit. Sauf qu’ici, et tout au long de ma lecture, j’étais incapable de me défaire d’un drôle de sentiment, comme une sensation de vertige, à savoir que ce qui est écrit ici a réellement eu lieu. Que ce chapitre quatre, intitulé L’attentat, raconte réellement, et dans les moindres détails – du moins ceux dont se souvient Philippe Lançon – alors qu’en l’espace de deux minutes, ses collègues, amis et confrères de Charlie Hebdo, avec qui il discutait de Soumission de Houellebecq et autres camaraderies, ont été criblés de balles. Un acte violent, calculé et précis qui démontre que, pour certains, la liberté d’expression a ses limites.
Je vous le dis franchement, Le lambeau est à l’opposé d’un page turner. Il faut au contraire prendre le temps de bien s’aérer l’esprit avant de se replonger dans sa lecture. S’il a bien une grande qualité, c’est la plume admirable de son auteur, qui nous offre ici un hommage aux grands penseurs de la littérature, comme Proust, Kafka, Baudelaire et Duras, ainsi que des métaphores qui nous prouvent que, malgré toute la laideur du monde, la vie continue de rimer avec poésie.