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Crédit photo : Daniel Boud
Cependant, vendredi soir, dans le cadre de Conversations with Nick Cave, il a levé le voile sur ce personnage de musicien torturé qui écrit à des fins cathartiques. Une nouvelle dimension qui lui donne un visage encore plus humain, comme s’il était devenu quelqu’un à qui l’on peut s’identifier dans la vie ordinaire, avec ses tragédies inévitables, comme le deuil.
La mort fut le thème omniprésent de toute la soirée. Et nous avons appris qu’écrire, pour lui, ce n’est pas une activité thérapeutique: c’est plutôt un exercice de structure.
Une soirée spéciale toute en confidences et en anecdotes
Le chanteur a montré son côté aventurier en organisant une tournée où il répond aux questions du public, et ce, sans modérateur. Malgré cet échange où Cave a accepté de se dévoiler, avec honnêteté, il y a eu également de l’espace pour la musique, et ce, pour le plus grand bonheur de la foule. Il a interprété quelques-uns de ses plus grands classiques au piano, superbement.
Le public était subjuguée chaque fois qu’il se plaçait derrière son instrument. Avec un décor aussi somptueux, celui de l’Église Saint-Jean Baptiste de Montréal, la soirée avait un caractère singulier, profane et grandiose.
Qu’avons-nous appris hier soir? Sans grande surprise, il a parlé de son admiration pour Leonard Cohen. Il a raconté au public, constitué de très grands admirateurs de Cave, qu’il a eu une enfance heureuse en Australie, sous le soleil, à jouer à l’extérieur, sans souliers!
Malgré cela, sans qu’il puisse l’expliquer, il sentait que ce bonheur ne correspondait pas exactement à ce qu’il ressentait à l’intérieur. Il éprouvait un certain inconfort. C’est lorsqu’une amie de cœur lui fit découvrir Songs of Love and Hate que Nick Cave comprit la nature de ses sentiments.
Le chanteur s’est dit aussi inspiré par le cinéaste David Lynch. De fait, il affirme se sentir inclus dans ses films étranges et fascinants, bien qu’il ne prétende pas les comprendre. De plus, il a suivi son exemple en adoptant la méditation transcendantale, ce qui lui a permis de faire le ménage dans sa tête afin de se concentrer uniquement sur les choses les plus importantes.
À savoir s’il se sent libre dans le contexte actuel où tout est observé à la loupe, il a répondu que oui.
Il a comparé l’écriture, surtout lorsqu’on est plus jeune, à une mitraillette que l’on ne peut contrôler, et qu’il se considère comme un artiste qui aime la transgression, que c’est sa responsabilité d’offenser. Il était certes difficile de mieux introduire la chanson suivante, «Into My Arms», composée à la suite d’une visite supervisée dans une église, alors qu’il était en clinique de réhabilitation. Juste avant de la jouer, il a expliqué qu’une bonne pièce est, à ses yeux, quelque chose qui continue de se révéler au fil des années. Et à entendre ce morceau, on constate que celui-ci résonne toujours avec autant d’intensité, mais qu’il revête une tout autre signification pour lui aujourd’hui.
Plusieurs personnes ont partagé leurs histoires de deuil, et Nick Cave a aussi beaucoup parlé de la sienne. Cela peut sembler périlleux de partir en tournée peu de temps après la mort tragique de son fils de quinze ans, et de tenir un évènement intitulé Conversations with Nick Cave, mais ce fut en fait salutaire pour le chanteur.
Il ressentait un besoin de connecter avec les gens, de partager son expérience si douloureuse. Malgré son calme apparent et sa voix sous contrôle, nous pouvions percevoir que ses yeux brillaient de larmes à l’occasion.
Alors que le chanteur racontait, non sans une pointe d’humour, sa carrière ratée de peintre, un spectateur un tantinet effronté a réclamé une nouvelle chanson, car cela faisait vingt minutes qu’il parlait. Le musicien ne s’est pas fait prier et a chanté avec une énergie sublime «Jubilee Steet», les yeux fermés.
Un musicien apprécié grâce au poids de ses mots
L’une des raisons pour lesquelles le musicien est autant apprécié, c’est définitivement pour son talent pour l’écriture. Devant nous, il a voulu préciser qu’il n’est pas un poète, mais bien un parolier. Sa fonction première est de trouver les mots, de structurer une chanson.
Il a expliqué que plusieurs de ses paroles sont en fait des phrases qui sont déconnectées les unes des autres, et qu’il les assemble ensuite. Il s’agit de mots «morts» qui s’activent, une sorte de friction magique. Écrire est un exercice long, difficile et tonitruant qui requiert de la solitude. Sur le coup, les chansons sont écrites dans un contexte de production, tel un emploi de bureau, mais par la suite, la signification des chansons se matérialise et évolue.
En définitive, ce fut une soirée à la fois stimulante et sous le signe du partage. Nick Cave a fait preuve de beaucoup de courage avec cette tournée, une continuation de la conversation déjà amorcée avec son site The Red Hand Files, où il répond aux questions les plus personnelles de ses admirateurs, mais aussi où il offre des conseils sages à ceux qui sollicitent son opinion sur un sujet donné.
Cette expérience «terrifiante» est aussi l’occasion de créer des liens avec son public qui, comme lui, navigue sur une mer parfois houleuse. Le sentiment de connexion prend tout son sens pour le chanteur, mais aussi pour le public, qui n’a pas hésité à se confier devant une église pleine à craquer.
Si nous sommes tous unis dans la tragédie, nous le sommes aussi dans la recherche de la beauté, et l’interprétation intense, dramatique et remarquable de ses chansons a donné des frissons dans le dos à tous les spectateurs.
L'avis
de la rédaction
Grille des chansons
1. The Ship Song
2. The Weeping Song
3. Avalanche (eprise de Leonard Cohen)
4. Into My Arms
5. Jubilee Street
6. Papa Won't Leave You, Henry
7. Devil Town (reprise de Daniel Johnston)
8. The Mercy Seat
9. Palaces of Montezuma (chanson de Grinderman)
10. Girl in Amber
11. Shivers (chanson de The Boys Next Door)
12. O Children
13. God Is in the House
14. Stagger Lee
15. Where's the Playground Susie? (reprise de Jimmy Webb)