«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Songs of Leonard Cohen» de Leonard Cohen – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Songs of Leonard Cohen» de Leonard Cohen

«Les albums sacrés»: le 50e anniversaire de «Songs of Leonard Cohen» de Leonard Cohen

Chansons de chevet

Publié le 7 décembre 2017 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : Jack Robinson / Getty Images

Leonard Cohen arrive sur la scène musicale sur le tard, car à la base, il est un poète. Tout un poète à part de ça. Alors, dans les années cinquante, et une bonne partie des années soixante, ses mots, il les laisse sur le papier. Toutefois, le succès financier ne vient pas, alors il décide donc d’ajouter une guitare à sa plume et de chanter ses mots. Après tout, avec toute une génération (incroyablement nombreuse, faut-il le rappeler) qui carbure à la musique, pourquoi ne pas se faire connaître par la chanson? Le choix fut judicieux évidemment. Il connaîtra une carrière iconique où le succès et l’argent viendront rapidement. À ce sujet, il perdra une bonne partie de son magot, en 2005, ce qui le ramènera sur la scène encore une fois, au plaisir de tous. Sauf qu’en 1967, alors âgé de 33 ans, Cohen avait tout à prouver avec son premier album, simplement intitulé Songs of Leonard Cohen.

Le défi devait être de taille: comment mettre ses poèmes et ses histoires en chansons? Sans doute en transposant l’aspect intimiste de la lecture à sa musique. De prendre des lectures de chevet et d’en faire des chansons de chevet. Le premier album de Leonard Cohen peut s’écouter dans un boudoir à une époque où les gens veulent se défoncer les tympans à Woodstock. Qu’importe, il existe aussi une audience qui aime écouter de la musique en buvant un bon vin et en discutant de James Joyce et de Henry Miller. Et puis, cette voix de baryton, parfaite pour ces mots, qui vient caresser l’oreille juste assez et nous aider à plonger dans une ambiance érotico-vous-savez-quoi!

Il n’est guère étonnant que les femmes adoraient Cohen. Et les hommes aussi, mais peut-être avec un brin de jalousie. Et d’envie.

Cohen-Jack-Robinson-Getty

Alors, pour un homme qui voulait faire un ou deux albums et retourner à l’écriture, Leonard Cohen n’a pas tenu promesse. Sa musique est assez singulière en soi: un folk épouillé, doux, mélancolique et poignant. La plupart du temps, on n’entend que sa voix et sa guitare, mais c’est suffisant pour porter l’attention sur ses paroles. Cohen se tient loin des artifices et le fait qu’il soit bien avancé dans la trentaine n’a rien à y voir. Il n’est pas de nature rockstar, comme en fait foi la pochette de l’album, où l’on voit un portrait sombre et sérieux de l’auteur-compositeur-interprète montréalais.

Difficile de faire une entrée plus sublime que «Suzanne», première chanson de l’album et également celle qui l’a fait connaître. Dès les premières lignes, Cohen relate d’une relation passionnelle et platonique avec une femme, l’un étant sous l’emprise spirituelle de l’autre: «And you want to travel with her / And you want to travel blind / And you know that she will trust you / For you’ve touched her perfect body with your mind». L’histoire nous apprendra que la Suzanne en question était Suzanne Verdal, conjointe du sculpteur Armand Vaillancourt à l’époque. «Master Song», une des pièces les plus sous-estimées de Leonard Cohen, plonge dans des métaphores sexuelles et bibliques, deux thèmes qui reviendront constamment à l’intérieur de son œuvre.

Après une courte ballade typique de Cohen («Winter Lady»), l’album prend son véritable envol avec, tout d’abord, «The Stranger Song», où deux amants se croisent et doivent se quitter aussitôt: «I told you when I came I was a stranger», répète incessamment Cohen. «Sisters of Mercy» est une merveilleuse ballade toute délicate qui s’avère être l’une des plus belles pièces du catalogue impressionnant de l’artiste montréalais. La mélodie y est inoubliable. «When you’re not feeling holy / Your loneliness says that you’ve sinned», remarque Cohen, éternellement préoccupé par la question religieuse et divine, qui fera toujours partie de son dilemme spirituel.

«So Long, Marianne» est l’une des pièces les plus exceptionnelles de Leonard Cohen, et aussi l’une des plus aimées. Hommage à sa muse, Marianne Ihlen, avec qui il aura une courte mais intense relation. Il s’agit de l’une des chansons les plus personnelles qu’il ait écrites et Marianne occupera son esprit, et son cœur, jusqu’à la toute fin de sa vie, en 2016. L’album poursuit dans la même veine avec «Hey, That’s No Way to Say Goodbye», qui traite directement et de manière poignante de sa séparation avec Ihlen. «But let’s not talk of love or chains or things we can’t untie», chante Cohen, incertain de ce que l’avenir leur réserve.

La dernière partie de l’album est plus méconnu, mais comporte tout de même son lot de découvertes. «Stories of the Street» est plus entraînante et moins lourde que les pièces précédentes. «Teachers» est un classique exemple du finger picking qui caractérise les premières œuvres de l’auteur-compositeur-interprète. Finalement, «One of Us Cannot Be Wrong», avec sa mélodie qu’il est impossible de ne pas associer à Cohen, conclut le disque sur une touche particulièrement mélancolique et nostalgique. «You stand there so nice / In your blizzard of ice / Oh please let me come into the storm», de conclure l’artiste, conscient du sort qui l’attend en succombant à ses désirs. Les derniers instants de la chanson sont bouleversants.

Songs of Leonard Cohen est un premier album magistral où l’on découvre un poète d’une qualité sidérante. À l’intérieur, des pièces empreintes de tristesse, de désarroi, de questionnements, d’amour et de passion. Leonard Cohen aura un impact grandiose et sa poésie aura une place éternelle dans l’histoire. Sensuel et cérébral, il ne précipitera jamais les choses, comme l’indiquent ses longues pauses entre la parution de ses albums et aussi son éternelle insatisfaction devant l’écriture de ses paroles (son immortel «Hallelujah» aura à l’origine plus de 80 couplets).

Mort il y a un peu plus d’un an, Cohen livrera un dernier album remarquable, You Want It Darker,  tout juste avant son dernier souffle.

Hey, voilà une belle façon de dire au revoir.

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 21 décembre 2017. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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