«La vie utile» d’Evelyne de la Chenelière à ESPACE GO – Bible urbaine

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«La vie utile» d’Evelyne de la Chenelière à ESPACE GO

«La vie utile» d’Evelyne de la Chenelière à ESPACE GO

Un dernier flot de pensées avant la fin

Publié le 8 mai 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Caroline Laberge

À l’instar de son personnage de Jeanne qui reçoit la visite de la Mort à qui elle demande plus de temps pour pouvoir recommencer, revenir sur sa vie et la revisiter, Evelyne de la Chenelière semble avoir pris le temps de revisiter son chantier d’écriture entamé quatre ans plus tôt à ESPACE GO, avant que sa résidence d'artiste ne se termine, afin d’en extirper les thèmes principaux ainsi que les grandes idées et réflexions, pour créer La vie utile, une proposition scénique d’une grande poésie, mise en scène par Marie Brassard et présentée dans le théâtre du boulevard Saint-Laurent jusqu’au 1er juin.

Tandis que la Mort l’attend, Jeanne revoit sa mère, pourtant décédée, et repasse par tout son apprentissage de la vie avec elle: du nom de tout ce qui a trait à la nature, aux objets qui l’entourent, mais aussi de tout ce qui se rapporte à Dieu et à la religion, qui sont partout, et qui marqueront durablement Jeanne. Elle revoit aussi son père, dont on mentionne les nombreux et jeunes amants, mais c’est surtout le spectre de la faute que Jeanne voit partout; le fait de se tromper, d’emprunter le mauvais chemin.

De sa chambre, cet espèce d’espace «réel» où a lieu la rencontre entre la Mort et elle, Jeanne observe le plus souvent en spectatrice, à travers la fenêtre, ses souvenirs qui se déroulent dans le jardin, ce lieu incertain rappelant les limbes qu’elle mentionne, où tout est revisité et où tout le monde se retrouve, se côtoie. L’esthétique absolument magnifique de la scénographie d’Antonin Sorel et l’ambiance de ces différents lieux sont très soignées et, jusqu’aux éclairages de Sonoyo Nishikawa, d’une grande précision, en passant par la corporalité d’Evelyne De la Chenelière, interprète de Jeanne, on ne peut que remarquer que tout est parfaitement et finement travaillé dans cette production dirigée par Marie Brassard.

La mise en scène est d’ailleurs du pur Brassard, avec ses voix trafiquées et ses projections éclatées. Véhicule de l’humour dans le texte, Christine Beaulieu est absolument méconnaissable en raison de sa voix modifiée, très grave, mais aussi de son maquillage et de sa chevelure qui lui donnent l’air figé d’une poupée ou d’un spectre. Et si le personnage de Jeanne d’Arc nous apparaît souvent plus dérangeant qu’utile – malgré tout notre respect pour le talent et la prestance de Sophie Cadieux –, et que celui incarné par Jules Roy Sicotte est un peu flou, devenant parfois plutôt un guide ou un narrateur que le père de Jeanne, il n’en demeure pas moins que De la Chenelière et Brassard offrent là un très bel exercice de style, visuellement sublime.

Les profondes réflexions sur la mort, sur le langage, sur ce qui nous entoure, sur le temps et aussi sur le désir qu’on retrouve dans La vie utile ont beau être parfois noyées dans du superflu qui permet difficilement de les apprécier à leur juste valeur, il n’en demeure pas moins que certaines portions du texte ont une grande valeur littéraire. Evelyne de la Chenelière est une auteure au regard lucide et pénétrant, et elle a réussi brillamment là où Justin Laramée a échoué avec Nous reprendrons tout ça demain; c’est-à-dire qu’elle est parvenue à créer, à partir de la même source (son chantier d’écriture), une matière théâtrale avec une ligne directrice claire et une histoire qui se tient, et même plus, qui est pertinente et qui porte à la réflexion.

Bien sûr, on ne peut passer sous silence les trop nombreuses et interminables énumérations qui meublent le texte, même si on comprend la volonté de lister toutes les connaissances qui l’ont assaillie et pétrie, tout ce qu’elle a appris et ce qui a meublé sa vie. Certaines sont justifiées, comme celle concernant la fenêtre, ou lorsque, bébé, elle découvre la vie, mais d’autres apparaissent comme des logorrhées à l’utilité incertaine. D’ailleurs, beaucoup d’éléments demeurent flous à la sortie de la représentation; leur symbolique n’est pas manifeste, et l’incompréhension de plusieurs pans de cette production pourrait en laisser plusieurs de glace.

Il y a toutefois souvent beaucoup de beauté dans le flou, et on est la plupart du temps confortable dans cet état d’entre deux consciences, voire d’entre deux mondes, proposé par le tandem De la Chenelière-Brassard. Tout comme le déambulatoire sonore que Julien Éclancher avait réalisé en 2016 à partir du chantier d’écriture de l’auteure, où on nous disait de nous promener où on voulait pour entendre différentes paroles et s’imprégner de ce qu’on voulait, de sorte que chacun allait ressortir avec une impression différente, le public devrait voir La vie utile comme une proposition aussi poétique que théâtrale, qui permet d’emporter avec soi les sensations et les réflexions qui l’ont le plus interpellé et qui auront marqué son inconscient.

L'événement en photos

Par Caroline Laberge

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