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Crédit photo : Ludovic Fouquet
Quand Vénus devient une peintre d’elle-même
Vénus empêchée transforme l’histoire de l’art en une performance immersive. Ludovic Fouquet, à la fois historien de l’art et performeur, explore l’évolution de l’iconographie de Vénus. Il montre comment la figure de Vénus, initialement passive, se transforme au fil du temps en un symbole d’autonomie et d’agentivité, et ce, jusqu’à l’autoreprésentation.
Le parcours artistique traverse des œuvres majeures, de la Vénus de Dresde de Giorgione (1510) aux créations contemporaines, telles qu’Auto-Stop d’Évelyne Axell (1966), éclairant ainsi le rôle du corps féminin dans la peinture occidentale.
De prime abord, cela peut sembler un tantinet long, mais la performance ne se limite pas à un cours magistral. Elle inclut aussi une mise en scène dynamique.
Laurence Brunelle-Côté, atteinte d’une maladie dégénérative affectant sa motricité et sa parole, devient l’incarnation vivante des œuvres évoquées. Manipulée par Ludovic Fouquet, Gabrielle Bouthillier (chant), Marie-Loup Cottinet (musique) et Emile Beauchemin (éclairages), elle prend part à la reconstitution des tableaux, tout en étant le sujet d’une réflexion intime sur la fragilité de son corps.
Cette dimension est renforcée par la voix off qui récite le texte Laurence. Elle nous fait donc entrer dans sa relation complexe avec son corps.
La performance se compose d’une variété d’actes: des chants, des interprétations musicales, des réflexions basées sur les analyses de Vénus par Daniel Arasse, et la manipulation en direct d’images de Vénus.
Cette œuvre transcende le simple cours académique et devient une exploration poignante de «l’empouvoirement». Elle invite à une réflexion profonde sur la vulnérabilité, la différence et le pouvoir des corps fragiles, tout en démontrant que l’art peut être un acte de résistance et de transformation.

Photo: Ludovic Fouquet
À quand remonte la dernière fois que vous avez pleuré en cours?
Dès l’entrée en salle, la viole de gambe de Marie-Loup Cottinet enveloppe l’espace d’une sonorité envoûtante. Cet instrument de la Renaissance, situé entre le violoncelle et la guitare, confère une profondeur rare à l’ambiance.
Ce soir-là, un lustre aux chandelles éclairait la scène d’une lueur tamisée, rappelant les salons d’antan. Au centre, Laurence reposait sous un drap immaculé, immobile. Côté cour, un écran projetait une citation d’Ouvrir Vénus de Georges Didi-Huberman.
C’est alors que le spectacle a commencé: Gabrielle Bouthillier s’est avancée et a fait résonner les mots de Didi-Huberman, portée par les vibrations de l’instrument. Lentement, avec une précision délicate, elle a soulevé le drap, dévoilant le corps nu de Laurence. L’instant était suspendu. L’émotion a surgi, brute, inévitable.
Avant même que la performance ne se déploie pleinement, les larmes ont monté.
Une voix off pour un corps faillible
Cet instant de beauté a démontré à quel point la poésie de Laurence Brunelle-Côté, dont le texte était récité par la voix off, sculptait l’espace avec une intensité rare. Aussi reconnue pour ses écrits (L’effondrement, Il faut me fendre), elle insuffle à la pièce une charge émotionnelle puissante, sans jamais sombrer dans l’excès. Son lyrisme est brut, vibrant, précis. Il imprègne la scène d’une profondeur viscérale.
Après la représentation, un constat s’impose: le public veut ce texte, mot pour mot, pour en saisir toutes les nuances.

Photo: Ludovic Fouquet
Les performances du bureau de l’APA dans un cadre intellectuel?
Il y a aussi le cours de Ludovic Fouquet, un chargé de cours que j’ai personnellement connu à l’université. Son talent pour transformer les faits en récits rocambolesques est fascinant, et son énergie captive immédiatement. Toutefois, il occupe une place assez grande dans la pièce. Même Fouquet lui-même l’admet à la fin, rapportant avec humour que Laurence lui faisait remarquer qu’il prenait peut-être un peu trop de temps.
Son intervention, bien que passionnante, cède néanmoins le pas à l’essence même du spectacle: les performances et la poésie de Laurence Brunelle-Côté. Cela dit, son apport n’est pas anodin, puisqu’il offre un cadre académique structurant à la performance du bureau de l’APA, ajoutant une profondeur intellectuelle à l’expérience sensorielle et poétique.
À La Charpente des fauves, ces performances se déploient donc dans une atmosphère singulière, où chaque instant est une rencontre intense. Pour les lecteurs et lectrices montréalais∙es, si vous passez par Québec et cherchez un théâtre audacieux, hors des sentiers battus, ce lieu saura combler vos attentes.
D’ailleurs, un petit oiseau me souffle que le bureau de l’APA débarquera bientôt à Montréal avec Pompières et pyromanes, une création présentée dans le cadre du FTA. C’est une occasion en or pour vous pour découvrir leur univers si vous ne l’avez pas encore exploré.
Ne manquez pas cette performance unique!
La pièce «Vénus empêchée» en images
Par Ludovic Fouquet
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Photo: Ludovic Fouquet
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de la rédaction