ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Simon Halström
Le début du spectacle donne le ton à ce qui va suivre. Les huit acteurs, debout à l’avant-scène, se livrent à une pseudo présentation franco-allemande des personnages de la pièce sans toutefois que le public ne puisse s’y repérer d’une quelconque manière que ce soit. Une fois ce prologue terminé, c’est en rampant sous le rideau de scène que les acteurs vont s’installer dans le magnifique décor conçu par Anne Viebrock. Complice de longue date de Marthaler, la scénographe s’amuse à créer ce qu’elle appelle des «lieux à jouer» dès le début du processus de création. Marthaler s’inspire donc grandement du décor lorsqu’il élabore ses mises en scène. Cette fois, Viebrock a reconstitué un intérieur d’époque, surchargé d’immenses tableaux et de bibelots, prêt à accueillir les naufragés d’une certaine bourgeoisie dépassée.
Une île flottante témoigne d’une grande maîtrise de l’étendue du genre comique. Le burlesque, le comique de situation et l’humour absurde se conjuguent pour rendre hommage au pathétisme de l’homme moderne. Le spectacle dépasse les stazzi habituels de la comédie – chute d’un personnage, bris des objets du décor, maladresse de la gestuelle – avec juste assez de décalage pour en marquer l’ironie. À coup de regards, de gestes et de silences, les formidables acteurs adoptent un jeu très précis où le kitsch côtoie le sublime. Mention spéciale à Marc Bodnar, savoureux dans son interprétation du personnage de Monsieur Malingear.
La musique occupe une place centrale dans le spectacle et émerge de partout. Des sons de cloches interminables côtoient des compositions de Mozart et de Schubert, des chansons populaires se juxtaposent à de la musique de film. Des airs de hautbois, de flûte traversière et de basson servent souvent de transition entre les tableaux. Ce souci pour l’atmosphère sonore constitue d’ailleurs l’un des traits caractéristiques des mises en scène de Marthaler, qui a d’abord fait des études musicales avant de se tourner vers le théâtre. Ses nombreuses mises en scène d’opéras témoignent encore de cette sensibilité marquée pour la musique.
Si Une île flottante demande un certain temps d’adaptation pour s’ajuster à la temporalité particulière du spectacle, à la fois lente et répétitive, le plaisir est jouissif lorsque l’on s’y abandonne. La stupidité attachante de certains personnages – à commencer par les jeunes fiancés Emmeline et Frédéric – et l’absurdité des situations présentées sur scène font de la pièce une œuvre savoureuse. Encore une fois, le FTA promet de déstabiliser le public québécois en lui permettant de s’ouvrir aux démarches artistiques les plus innovatrices et originales du théâtre contemporain.
«Une île flottante» sera encore présenté jusqu’au 28 mai 2016 au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts.
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Par Simon Halström
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