ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin
Il est difficile de ne pas être admiratif envers l’esprit vif et (souvent) un peu tordu d’Étienne Lepage. Dans ses textes, l’absurde est toujours au rendez-vous, de Logique du pire (2016) à Malaise dans la civilisation (2022), en passant par des projets moins personnels mais tout aussi ambitieux, tels que l’adaptation de L’idiot de Dostoïevski au TNM en 2018.
Pour sa cinquième collaboration avec Lepage, Catherine Vidal a signé une mise en scène festive, bruyante et jubilatoire, et s’est entourée de collaborateurs de longue date autant que de visages (relativement) nouveaux.
Découpé en une douzaine de chapitres, le texte est présenté comme un survol de l’humanité, de sa cupidité, de l’obscénité inconsciente de certains comportements, un regard à la fois dur et festif sur les constantes imperfections des gens qui nous entourent.
Une énergie collective contagieuse porte ces vignettes, ainsi qu’un humour impitoyable. On passe d’une charge contre le gouvernement en place (sincère, mais simpliste), cri du cœur souligné par des acclamations de l’ensemble des interprètes, au récit d’une rencontre avec un personnage tellement laid qu’il pousse au meurtre ou au suicide.
Pas de demi-mesure ici, le propos est souvent gros comme le bras et parfois carrément brutal.
L’ordre des textes et le niveau variable d’intensité avec lesquels ils sont déclamés garde les spectateurs et spectatrices sur leurs gardes, toujours à mi-chemin entre le rire hoqueté et incrédule, et la réaction aussi horrifiée qu’amusée.
Les moments les plus réussis sont portés par Mireille Métellus, avec son hilarant plaidoyer pour la reconnaissance ou la mort, et par Ève Pressault, en admiration jusqu’au malaise devant une artiste dont elle vénère l’œuvre.
La finale, offerte par un Renaud Lacelle-Bourdon en roue libre et en grande forme, est une classe de maître de supplication et de changement de ton, d’hypocrisie et de duplicité, d’imperfection absolue. Malgré le grossier du propos, on a tous vécu une situation nous exposant à une telle personne, et on a même parfois été cette personne, même si cette perspective vient encore fréquemment hanter nos nuits.
Procès, compte-rendu, constat glaçant? Cette pièce a un peu de tout, pour tout le monde. On y célèbre et on y condamne l’imperfection, avec un sens de l’observation inouï et un humour particulièrement féroce.
Malgré les rares segments un peu plus faibles, et grâce à l’énergie globalement déployée par les interprètes, on a ici affaire à un très grand cru d’Étienne Lepage. Courez-y.
La pièce «Trop humains» en images
Par Frédérique Ménard-Aubin
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