ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Catherine Asselin Boulanger
Sylvie Moreau y parvient, elle, à rendre justice à cet auteur dont la réputation et le style littéraire continuent de créer la controverse longtemps après sa mort. Créé en 2017, ce spectacle hautement maîtrisé, tant au niveau de la direction du jeu des comédiens que de l’oeuvre proustienne, invite les spectateurs à découvrir cette vie qu’a menée Marcel Proust, complètement dévoué à l’écriture durant les huit dernières années de sa vie, couché et confiné dans sa chambre à imaginer ses personnages et son univers.
Découvrir l’homme derrière les sept tomes de La Recherche du temps perdu est l’aspect sensible de cette pièce qui donne soudain envie de lire (ou de relire) Proust à la lumière de ce fait troublant.
L’idée de donner corps aux principaux personnages de l’épopée du temps perdu (et retrouvé) et de les inviter à interagir avec leur créateur est astucieuse et juste. L’image de cette petite chambre où dansent, boivent, rigolent ou encore se battent et se courtisent les personnages, semble bel et bien avoir été la réalité de Proust qui vivait entouré d’interlocuteurs imaginaires. «Un personnage est une œuvre, une toile, une musique, un livre…».
Omnibus est certainement servi en termes de théâtralité puisque ces personnages plus grands que nature offrent au corps de l’acteur de multiples possibilités physiques et comiques. Cependant, certains moments frôlent la caricature. Cette exagération des protagonistes proustiens dilue-t-elle la profondeur de leurs propos? À un moment précis, plusieurs extraits des livres s’enchaînent et on a du mal à saisir chacune des phrases, ce collage étant moins au service du sens de la pièce, puisque les spectateurs doivent s’accrocher à une phrase sur deux pour bien l’assimiler et la saisir, le rythme de ce segment étant plutôt rapide.
C’est donc en visitant un musée consacré à la vie de l’auteur qu’on découvre une chambre dont les murs s’ouvrent pour donner plus d’espace à la création et à travers lesquels des cadres vides laissent entrer les personnages. La scénographie se veut intègre envers l’univers de Proust et c’est visuellement très harmonieux. Conventionnel (un peu trop?), l’espace scénique répond à l’époque dans laquelle les spectateurs sont plongés, soit le début du vingtième siècle, et respecte les codes, mais sans plus.
C’est évidemment la justesse qui prône, mais y aurait-il eu une façon de pousser plus loin la fantaisie dans le rapport au public? De même que ce moment final où le personnage de Jupien (interprétation habile et franchement drôle de Bryan Morneau en remplacement de Réal Bossé) extirpe le souffle final de son auteur pour le recracher dans les airs, pourquoi ne pas s’être approché des spectateurs pour nous l’offrir directement?
Dans toute la précision de son adaptation de l’oeuvre, Sylvie Moreau signe une pièce qui relève le défi et qui, finalement, réussit à nous transmettre tout le respect qu’elle a pour Marcel Proust en nous donnant l’envie de nous coucher tôt, de rêver et de créer.
«Maintenant, il est trop tard pour terminer cette œuvre inachevable, mais j’y mettrai tout de même le mot: fin »
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Par Catherine Asselin Boulanger
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