«Requiem» de l'Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg à la Place des Arts – Bible urbaine

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«Requiem» de l’Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg à la Place des Arts

«Requiem» de l’Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg à la Place des Arts

La vie, la mort et Staline

Publié le 22 février 2018 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Les Grands Ballets

Les attentes étaient hautes pour ce nouveau spectacle du chorégraphe russe, Boris Eifman, reconnu pour sa vision avant-gardiste. Après avoir fondé sa propre compagnie en 1977, le Eifman Ballet de Saint-Pétersbourg, afin de défier les conventions russes et la censure, opte pour un genre novateur de ballet-théâtre afin d’illustrer, de façon philosophique, les passions humaines.

Eifman croit beaucoup à l’émotion dans l’interprétation et se désole lorsque la quête de la perfection technique devient la seule finalité. S’inspirant de la littérature et de la musique pour créer ses ballets, il entremêle les styles classique et contemporain. Perfectionniste, il a pris l’habitude de revisiter ses œuvres afin de les réécrire. 

C’est le cas de Requiem, une pièce écrite, à l’origine, à propos du mystère qui entoure la vie; celle-ci est accompagnée du célèbre Requiem de Mozart. Vingt ans après sa création, il revisite ce ballet et lui donne plus de chair.

En effet, il est particulièrement ému par le recueil de poèmes Requiem d’Anna Akhmatova, qui fait écho à l’ère Staline et au climat particulièrement difficile. La poétesse russe a cruellement souffert du règne du dictateur; son premier mari fut assassiné par la police soviétique secrète, son compagnon de vie, un dissident, mourra en prison, et son fils, bien qu’innocent, passa dix-sept mois derrière les barreaux. Pendant cette période, rongée par l’angoisse, elle fit la file devant la prison dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de son enfant.

Ce récit, dépeignant avec exactitude les répressions staliniennes de l’époque, touche profondément Eifman, qui s’y identifie. Il décide donc de réécrire Requiem afin d’y incorporer ce chef-d’œuvre de la littérature russe.

Ce ballet est donc divisé en deux actes distincts et étanches: la première partie s’inspire de l’expérience d’Akhmatova et est soulignée par la musique de Chostakovitch ainsi que de Rachmaninov. Le deuxième acte, pour sa part, illustre une réflexion du chorégraphe sur la vie, la mort et la spiritualité (soutenu par la musique de Mozart).

Malheureusement, les deux actes étaient si différents l’un de l’autre que nous avions l’impression d’assister à deux ballets distincts. Il n’y avait pas d’unicité entre les deux chorégraphies, bien qu’elles constituent deux variations sur un même thème. Cette fracture a causé un certain désintéressement de la part du public, qui a éprouvé quelques difficultés à intégrer ce nouvel univers.

Le premier acte était, en soi, dramatique, troublant et poignant; tout simplement superbe. Le silence dans la salle était complet, les spectateurs étaient subjugués par les danseurs. Les costumes étaient sobres, le jeu de lumière était efficace et soulignait à merveille l’intensité des émotions. Les ballerines et les ballerins ont su démontrer un talent incroyable, tant sur le plan du jeu d’acteur que sur celui de l’exécution de la chorégraphie, qui était très physique et complexe. Leurs mouvements laissaient transparaître une force physique et une souplesse incroyables.

Les pas de danse, bien que très classiques, présentaient un aspect original, car ceux-ci étaient plus exagérés, plus soutenus et plus flamboyants. Sur le plan technique, la troupe a su démontrer cohésion, force et habileté; il est même rare que ce soit aussi bien réussi. La ballerine qui tenait le rôle de la mère, Maria Abashova, était sublime. Le décor était épuré et intemporel. Un mur en bois mobile et des projecteurs encadraient l’histoire sans causer de distractions. Le jeu de lumière fut très percutant, spécialement lorsque certains moments critiques furent baignés par un rouge écarlate, un écho à l’imagerie communiste. 

La deuxième partie n’était toutefois pas aussi intéressante ni aussi intense. Peut-être aurait-il fallu inverser l’ordre, ou encore créer un pont pour lier les deux actes. La chorégraphie était moins précise, bien que plus romantique et très harmonieuse. Il est vrai qu’explorer une réflexion est quelque chose de plus abstrait, contrairement à l’acte de raconter une histoire. Les danseurs furent rapides et habiles, mais la foule n’était plus aussi captivée que pendant le premier acte. Les images utilisées étaient beaucoup plus complexes, permettant ainsi une interprétation personnelle. C’était joli mais pâle en comparaison avec le premier acte qui était foudroyant.

Malgré une longue ovation à la fin de la représentation, le contraste entre les deux actes a quelque peu amoindri l’effet envoûtant de la soirée. L’exercice est intéressant, mais il est peut-être mal exploité. Ceci étant dit, la troupe a offert un excellent spectacle; c’était particulièrement impressionnant.

Bien qu’inégal, ce ballet est très intéressant, car il démontre l’immense talent d’Eifman, qui semble avoir créé son propre code de mouvements, avec un flair pour le théâtral.

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