ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicolas Descôteaux
Dans cette version, Faust (Francis Ducharme) est un oncologue réputé travaillant dans un hôpital parisien. Il s’éprend de Marguerite Weiner (Sophie Cadieux), une patiente souffrant d’une maladie incurable. Elle, botaniste et grande chercheuse, accepte sa fatalité en y voyant un cycle semblable à celui des plantes qui se régénèrent. Lui, obstiné à vouloir la sauver d’une mort évidente, s’adonne à de l’acharnement thérapeutique.
Le spectacle est divisé en trois parties. Dès la toute première, intitulée «Forêt et tempête», le vilain Méphisto (Yacine Sif El Islam) tournoie autour de Faust tel un vautour survolant sa proie. Il l’accompagnera en Californie lors de la deuxième partie, «Paradise», où Faust, meurtri et rempli de remords, se rend dans une maison intelligente afin d’y revivre une idylle amoureuse avec Margot.
Celle-ci revit sous une forme virtuelle par l’entremise d’un cosmogramme.
On est résolument dans un questionnement sur les avancées technologiques avec toute sa beauté, sa complexité et ses controverses.
Enfin, la partie finale, qui comporte beaucoup trop de longueurs, se déroule sur une île menacée par la montée des eaux. Faust y voit encore l’occasion de sauver le monde d’une mort imminente, alors que des pêcheurs s’opposent fermement à son projet de digue.
Est-ce que Faust lâchera prise? Et est-ce que Méphisto, tapi dans l’ombre, le guettant, finira par avoir sa peau?
Une épopée titanesque portée par des acteur∙trice∙s grandioses
Francis Ducharme porte sur ses épaules cette pièce de 3 heures et 15 minutes! Sa prestation, à la toute fin notamment, est impressionnante. Le flot de paroles qui affluent de sa bouche à un rythme vertigineux, comme s’il était retenu en apesanteur par des forces cosmiques, divisé entre le bien et le mal, est tout simplement hypnotisant.
Par ailleurs, la scène qui illustre le trépas de Margot est d’une beauté désarmante. Sophie Cadieux semble littéralement aspirée vers un monde végétal. Son monologue extatique sur fond de flore dansante, comme si elle quittait lentement le monde des vivants, est tout en contraste avec la gestuelle de Ducharme.
Faust, visiblement désarmé devant son échec, s’accroupit, comme au ralenti. On nous laisse avec l’impression que Margot s’élève vers les cieux, alors qu’il est destiné, pour sa part, à errer sur la Terre.
Visuellement, cette scène est d’une poésie implacable!
Yacine Sif El Islam, une découverte truculente
Dans le rôle de Méphisto, l’acteur français Yacine Sif El Islam est sans contredit la découverte de cette pièce. Son aura mystérieuse le rend fascinant; ses entourloupettes, attachant et familier. Il nous réserve plus d’une surprise, jouant sur différentes facettes de son personnage, lequel est à la fois drôle, vicieux, sournois et séducteur.
Il ne faudrait surtout pas omettre les performances de Jasmine Bouziani, Dominique Quesnel et Madani Tall, qui interprètent tour à tour différents rôles de composition. Ceux-ci mettent en lumière les personnages phares de ce mythe, mettant un peu de relief et d’humour dans cette épopée parfois costaude à digérer, en raison de sa durée.
Une scénographie évocatrice
Soulignons ici le travail de Romain Fabre, dont la scénographie est à couper le souffle, et de ses comparses, Julien Eclancher, à la conception sonore, et Eric Maniengui, à la conception vidéo. Ils jouent avec différentes ambiances. Ainsi, dans la première partie, on plonge dans un univers cinématographique qui jongle avec les codes d’un thriller sombre.
En effet, Méphisto étant acteur, il invite Faust à camper le rôle d’un cadavre sur une civière pour une histoire de fiction. Les personnages baignent alors dans une lumière blafarde, présage funeste du destin qui attend Faust, ou du moins de la descente aux enfers à venir, telle qu’espérée par Méphisto.
Puis, la scénographie bascule dans une ambiance chaude et feutrée pour la deuxième partie, alors qu’on se transporte en Californie. Les feux ravagent et déciment des forêts entières. On croirait presque brûler en enfer! La projection du visage de Margot en gros plan sur une toile et son reflet voluptueux nous bercent d’une voix rassurante.
On semble être dans un monde éthéré et surréaliste.
Pour la finale, on nous offre un contraste marqué dans des teintes plus sombres; on croirait être en immersion dans un film apocalyptique. En effet, les gens dans la rue protestent contre un dictateur. En arrière-plan, la mer noire se déchaîne, abyssale et présage d’une fin inquiétante…
Au-delà du mythe
La prestation des artistes et la mise en scène valent à elles seules le déplacement. Le long préambule de Dominique Quesnel au début du spectacle aurait toutefois pu être écourté de plusieurs minutes. En voulant trop faire rire (peut-être pour laisser présager au spectateur que, malgré le fait que cela reste une pièce de Goethe, il y a beaucoup d’humour), le résultat devient irritant.
Enfin, nul besoin de connaître le mythe de Faust pour apprécier ce reflet d’une époque dépassée par les avancées technologiques et qui court à sa perte en négligeant la santé de notre planète.
Si vous voulez de la lumière, c’est une ode spectaculaire, tant pour les yeux que pour la langue de ces douze auteur∙trice∙s, qui se fondent et se marient plutôt bien dans l’ensemble. Certains textes utilisent volontairement un effet saccadé lors de la première partie qui ajoute à cet effet d’étrangeté qui baigne de son halo l’entièreté du spectacle.
La pièce «Si vous voulez de la lumière» en images
Par Nicolas Descôteaux
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