ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marie-Andrée Lemire
Post Humains s’inscrit dans ce courant documentaire qui traverse la scène théâtrale actuellement (Nous sommes ici, Porte Parole). Au fil de rencontres, de recherches et d’évènements tirés de sa propre vie, Leclerc jette un éclairage sur le vaste univers des biohackers et consorts afin dégager les principaux enjeux se rattachant au mouvement transhumaniste.
Le point de départ de cette enquête: l’engin vétuste dont Leclerc désire s’affranchir, au moyen duquel elle monitore laborieusement son taux de glycémie. Elle craint cependant l’éventualité que font planer des initiatives comme le Vitality program sur sa vie privée: celle que les compagnies d’assurance fassent intrusion dans son intimité et que les données personnelles recueillies par des outils «branchés sur Google» soient semées à tout vent.
Devant l’impasse, elle se renseigne au sujet des possibilités qu’offre la technologie. Le transhumanisme, semble-t-il, concourt à de nombreuses améliorations, comme chez cet homme daltonien devenu synesthésique et désormais apte à «entendre» les couleurs.
Dans ce monde peuplé de technophiles avides, le pas de Leclerc est d’abord assuré, enthousiaste. Or, la foi aveugle qu’affichent certaines personnes devant le transhumanisme vient à faire vaciller sa propre confiance. De jeunes hommes saisissent ainsi l’opportunité de subir un implant pour une somme modique à l’occasion du premier congrès international de cyborgs à Düsseldorf, sans trop s’interroger au sujet des retombées d’un tel geste. L’évacuation pure et simple de l’espèce humaine au profit de l’avènement d’êtres technologiques, dotés de facultés élargies, semble relever de l’ordre naturel des choses du point de vue de certains tenants du transhumanisme.
Si le bloc de pensée auquel se heurte Leclerc n’est pas monolithique, la ferveur de plusieurs d’entre eux paraît néanmoins éhontée, et leur candeur, périlleuse face à leur intégrité physique. Rares sont les voix résistantes qui s’élèvent dans les rangs du mouvement de même que parmi les jeunes, plus amènes devant la technologie. En contrepartie, ailleurs dans la société, certains-es se ferment catégoriquement à l’éventualité d’incorporer la technologie au corps humain.
Leclerc éprouve ainsi ce besoin de jeter un pont entre ces deux extrémités du spectre de pensée, la pièce Post Humains paraissant elle-même émaner de cette nécessité de former un «troisième groupe» et d’aménager un espace de réflexion éclairée entre les «technophobes» et les «technophiles». Il s’agit, comme elle l’affirme, «d’aller de l’avant avec un regard critique».
C’est surtout cette plongée dans des réflexions relatives à la mort – inhérente, a-t-on pensé jusqu’à ce stade-ci de l’évolution, à notre condition humaine – qui marque le spectacle d’un sceau d’audace. Les questionnements fusent: ainsi, si les humains vivent désormais indéfiniment, à l’heure des bouleversements climatiques actuels, la mort deviendra-t-elle une nécessité écologiste? Une quelconque forme, voire une apparence carrément humaine, pourra-t-elle être restituée à partir de données accumulées au sujet d’une personne après le décès de celle-ci? Quel statut – légal, moral – doit être reconnu à une conscience téléversée sur un support strictement matériel? Jusqu’où la technologie permettra-t-elle de repousser l’échéance plus courte que fait planer une condition comme celle de Leclerc, un diabète de type I?
Une mise en scène pragmatique
Fouillée, riche en faits et anecdotes, Post Humains demeure néanmoins tout à fait digeste pour l’auditoire. La mise en scène signée par Leclerc elle-même et Édith Patenaude est simple et pragmatique, rythmant la succession des rencontres ainsi que les épisodes où elle partage ses doutes avec Dennis Kastrup, son conjoint. Le fait que ce non-acteur partage la scène avec Leclerc contribue à abattre les frontières entre la fiction et la réalité – une réalité qui, de toute manière, «est beaucoup plus forte que la fiction».
Autour du couple gravitent Didier Lucien et Édith Paquet, campant une vaste galerie de personnages. Leur charisme appuie avantageusement leur propos.
Curieux paradoxe que l’enceinte dans laquelle se déploient de tels questionnements soit le théâtre, l’art étant une manifestation singulière de l’espèce humaine, renvoyant à notre nature distinctive – celle-là précisément dont le transhumanisme remet en question les fondements, faisant chanceler ses bases.
«Post Humains» de Dominique Leclerc en images
Par Marie-Andrée Lemire, Maxime Robert-Lachaîne et Gianmarco Bresadola
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