«Rotterdam» au Théâtre La Bordée dans une mise en scène d'Édith Patenaude – Bible urbaine

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«Rotterdam» au Théâtre La Bordée dans une mise en scène d’Édith Patenaude

«Rotterdam» au Théâtre La Bordée dans une mise en scène d’Édith Patenaude

L’amour au-delà des étiquettes

Publié le 18 janvier 2019 par Maude Rodrigue

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Un port contient une charge symbolique considérable. La commune de Rotterdam constitue ainsi un lieu de transit, ses habitants-es sont parés-es à quitter, sur le pied de guerre, aux abords de l’eau. Dans la pièce de Jon Brittain, c’est d’une transition déterminante qu’il est question: celle du changement de sexe de l’une de ses protagonistes.

Sept années ont été nécessaires au personnage d’Alice (Marie-Hélène Gendreau) afin qu’elle accumule le courage nécessaire pour passer aux aveux auprès de ses parents au sujet de son homosexualité. À l’instant où elle s’apprête à le faire, son amoureuse Fiona (Pascale Renaud-Hébert) lui annonce qu’elle désire suivre une procédure de changement de sexe.

L’intrigue s’articule autour des retombées de cette transformation au sein du couple qu’elle forme avec Alice. «Quand j’parle, c’est pas ma voix», exprime douloureusement Fiona. «Quand je me regarde dans le miroir, c’est pas moi». Ce changement apparaît d’ailleurs «cohérent» avec le reste aux yeux du personnage de Josh (Charles-Étienne Beaulne), le frère de Fiona et ex-copain d’Alice. En effet, l’annonce de sa sœur a eu l’effet de la «finale du Sixième Sens», exprime-t-il avec humour.

Les voies impénétrables du cœur

Néanmoins, l’équilibre fragile qui s’était créé au sein du couple est rompu. La transformation de Fiona – qui souhaite désormais être désignée comme «Adrien» – livre Alice à des questionnements quant à ses attirances sexuelles. Qu’est-ce qui, de l’aspect physique d’Adrien ou de la personne qu’il est au-delà de l’«étiquette», préside à l’amour que lui voue Alice?

Qui plus est, le changement de sexe de Fiona remet en question le couple que formaient Josh et Alice: si cette dernière allègue qu’elle a laissé son ex-copain puisqu’elle n’éprouvait pas d’attirance physique envers lui, quel regard pose-t-elle sur ce qu’ils ont vécu à présent que sa partenaire actuelle devient un homme?

Des personnages à la croisée des chemins

Les renseignements au sujet de la psychologie des personnages s’écoulent au compte-gouttes au fil de la pièce de Jon Brittain. Rotterdam a d’ailleurs valu une reconnaissance considérable à l’auteur anglais.

L’auditoire est ainsi interloqué d’apprendre que malgré qu’elle y ait vécu pendant sept ans, Alice n’aurait pas appris un seul mot de néerlandais à Rotterdam. Comment expliquer qu’elle affiche un tel hermétisme face à son milieu d’accueil, dont elle refuse d’embrasser la culture et les valeurs ambiantes? Alice paraît nerveuse et à l’étroit, et l’annonce de sa conjointe fait chanceler l’équilibre de leur couple. Les vagues que causeront les changements à venir submergeront-elles la fragile embarcation de leur idylle, qui dérivait déjà sur des eaux tourmentées?

Quant au personnage de Fiona-Adrien, la force qu’il semble abriter vient à craqueler lorsqu’il est éprouvé par les traitements que requiert son changement de sexe, ou encore lorsque des passants-es ne reconnaissent pas sa masculinité.

Un jeu authentique et nuancé

Marie-Hélène Gendreau et Pascale Renaud-Hébert livrent une performance sensible et profondément touchante. Renaud-Hébert est tout spécialement bouleversante lorsqu’elle hésite, mesure la gravité de ce qu’elle s’apprête à confier à son entourage, puis tente de développer sa pensée auprès de ses proches. Une tension s’installe entre deux désirs difficilement conciliables: celui d’être un homme, et celui de ne pas altérer l’amour que lui porte Alice.

Étoile non seulement montante, mais déjà incandescente dans le milieu théâtral, Renaud-Hébert occupe d’ailleurs une place considérable dans la programmation d’hiver de la Bordée. En plus de son rôle dans Rotterdam, elle assurera la mise en scène de Sauver des vies (dont elle signe également le texte), la prochaine pièce prévue à la programmation du théâtre sis sur la rue Saint-Joseph.

Quant aux décors, ils arborent un curieux aspect de mobilier de parc pour enfants, tandis que d’aucuns  y décèleront plutôt des accents futuristes. L’allusion à la modernité est franche — modernité à laquelle la ville de Rotterdam prête flanc. En effet, la commune branchée a été reconstruite et au sortir de la Deuxième Guerre mondiale qui l’avait considérablement abimée.

La réalité du couple d’Adrien et d’Alice, bien qu’elle ait sans doute toujours existé en réalité, s’inscrit dans cette modernité. Il est temps de la reconnaître, et de concevoir cet amour qui peut s’exprimer en une foule de combinaisons, suivant la déclinaison infinie des genres en vertu d’une théorie queer

Quant à la mise en scène, la signature d’Édith Patenaude est un gage de qualité. Outre ses penchants pour les auteurs britanniques de même que pour les luttes politiques, on est tenté de prêter à la metteure en scène l’intention de poursuivre son exploration des codes du genre, alors qu’elle l’avait fait pour Titus l’année dernière, quoique d’une manière bien différente. Patenaude avait effectivement inversé le genre des personnages par rapport à la version originale de cette pièce de Shakespeare, d’ailleurs désignée comme la plus sanglante de sa dramaturgie.

En ce qui a trait à l’ambiance sonore du spectacle, on doit la musique à deux figures importantes de la scène musicale émergente à Québec, nommément Samuel Wagner avec la collaboration de Margaux Sauvé. L’ambiance est planante, éthérée, vrillée de touches électroniques. Les artisans ont cerné la teneur électrique de la relation entre Alice et Adrien, tout en exprimant le vide, l’absence de repères et le vertige que cause leur nouvelle situation.

«Rotterdam» au Théâtre La Bordée en images

Par Nicola-Frank Vachon

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