ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jules Bédard
Initialement une série de tableaux sur la mort et le passage à l’âge adulte, Poisson Glissant s’est transformé en œuvre cohésive à mesure que le processus créatif avançait. Dans les bureaux à aire ouverte d’une entreprise quelconque, des personnages qui sont à mi-chemin entre des collègues et des amis sont catapultés dans des situations toutes plus absurdes les unes que les autres.
Simon (Beaulé-Bulman) croit que les humains décèdent seulement s’ils sont victimes d’un accident et croit que ses grands-parents sont «partis en voyage» depuis 25 ans. Sébastien (Tessier), quant à lui, a des problèmes financiers et affectifs. François (Ruel-Côté) est fonceur, mais simpliste. Audrey-Ann (Tremblay) manque de confiance en elle, et Marianne (Dansereau) applique des principes de gestion du personnel un peu douteux.
Satire de la culture d’entreprise, donc, la pièce prend des détours sinueux pour s’attarder entre autres à un voyage de camping où nos collègues rencontrent une «fille de région» verbomotrice, un incident très «chaplinesque» où François reste pris dans sa chaise, et une hilarante prise d’otages dont l’enjeu est une cagnotte de moitié-moitié.
Outre le lieu de travail et ses employés, les enseignements d’un gourou du mieux-être servent aussi de fil conducteur au récit, ainsi qu’une histoire de grand-père à propos d’un poisson érudit et immémorial.
Si ça sonne comme un parfait délire, c’est que ça en est un. Mais il s’agit d’un délire, heureusement, fort maîtrisé.
Au fil des ans, Ruel-Côté développe un humour extraordinairement unique qui devient une signature, certes quelque peu influencé par le Théâtre du Futur avec lequel il a travaillé dans Les secrets de la vérité en 2018, mais quand même complètement original. Un humour qu’il exploite dans ses propres créations – comme la jouissive Sur le divan, présentée à Zoofest en 2018 – mais aussi via ses choix d’acteur, qui garantissent infailliblement que le rire est une composante importante de l’expérience. On pense ici à tertuliaNebula (présentée au Festival ZH en 2018), ou à sa courte et marquante apparition dans Copié-Collé, de Francis-William Rhéaume.
Au-delà des questions liées à l’existence que toute personne rationnelle se pose inévitablement, c’est aux réactions parfois impulsives d’êtres humains en crise que nous sommes ici confrontés. Réactions qui font heureusement rire et non grincer des dents, car c’est entre les mains d’experts de l’absurde que le spectateur se retrouve.
Et les rires passent par toutes les nuances, du jaune au noir, du ricanement discret à l’esclaffement franc, témoignant de toute la polyvalence de la troupe.
Pour en savoir davantage sur le spectacle, vous pouvez toujours lire notre entrevue en tandem avec Cédrik Lapratte-Roy et François Ruel-Côté.
La pièce «Poisson Glissant» en images
Par Jules Bédard
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de la rédaction