ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Christian Bégin a le sens de la réplique, c’est indubitable. Dans le cadre du 20e anniversaire des Éternels Pigistes, un collectif dont il fait partie et qui nous avait offert l’an dernier la déroutante Mort des Éternels, il s’est installé au TNM pour y présenter un nouveau texte très incisif, dans une mise en scène de Marie Charlebois, aussi membre des Pigistes.
La famille Bérubé est réunie dans une charmante cour de banlieue pour ouvrir le testament du patriarche (Pierre Curzi, fort imposant), figure de proue discutable de cette famille légèrement dysfonctionnelle. La mère, Colette (Sophie Clément), souffre d’un aveuglement volontaire. Guillaume (Christian Bégin) travaille pour le gouvernement et pratique des activités moralement discutables. Roger (Pier Paquette), taciturne et discipliné, a suivi les traces de son père et est devenu comptable, mais vient récemment de se faire plaquer par son conjoint et hante les saunas du Village. Manon (Marie Charlebois), une travailleuse sociale constamment à la course, fréquente un toxicomane et veut sauver le monde. France (Isabelle Vincent), une avocate très en vue, magasine chez Billie, sort dans des bars à vin, et fréquente des gars trop jeunes pour elle, refusant de vieillir. Leur père leur a réservé une belle surprise posthume: il leur demande de se séparer ses avoirs, plusieurs millions de dollars, «selon leurs besoins».
Il y a ici de sombres secrets, de la rancoeur à revendre, une tension constante, des railleries, du bullying; assez d’ingrédients pour rire de bon coeur, et en être aussitôt désolé. On sent d’emblée qu’il y a quelque chose qui cloche dans leur dynamique familiale, et certains retours en arrière, pendant lesquels gronde une note de basse sourde et sournoise, nous révèlent peu à peu l’ampleur du problème.
À la fois une critique acerbe de notre société de consommation et un drame de moeurs, Pourquoi tu pleures…? est une pièce où l’on ne s’ennuie guère. Ces comédiens se côtoient depuis deux décennies, et ça se sent – ils sont dans leur élément, et leur polyvalence les honore. Nous avions parfois du mal à saisir tous les dialogues, car les rires du public étaient par moments carrément tonitruants, réagissant au feu roulant de répliques assassines.
On a cependant eu un peu de mal à avaler la révélation finale, qui semble sortir de nulle part, mais elle nous fait revenir sur tous les petits signes habilement dispersés ça et là dans le récit, jetant une lumière plutôt défavorable sur ce père de famille qui choisissait souvent le pouvoir avant la famille, et qui faisait preuve d’une xénophobie d’un autre âge. Un personnage qui n’est pas là pour plaire au public, qui est malheureusement le reflet de certains Québécois, et qui est la pierre angulaire de cette comédie dramatique très plaisante.
Un théâtre qui crée des malaises est un théâtre dont nous avons encore besoin, et même après 20 ans, nos Éternels Pigistes n’ont rien perdu de leur pertinence.
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Par Yves Renaud
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