ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Pierre Manning, shoot studio | Graphisme orangetango
«On l’attrape à un moment où il n’est pas encore Edmond Rostand, où il n’a pas encore rencontré le succès. Au contraire, il vient de connaître un flop. Ce que l’on voit, c’est un auteur raté qui ne sait pas encore, qui n’a même pas idée qu’un jour il pourrait passer à l’histoire.» – Olivier Morin
Fenêtre sur la vie d’Edmond Rostand
En cette fin de XIXe siècle, Edmond Rostand, grand romantique, ne trouve aucun écho chez ses contemporains pour son amour des vers en alexandrins et des personnages historiques. Cultivant les échecs, il en vient, alors qu’il se retrouve pris dans un triangle amoureux très semblable à celui de ce soldat-poète, à s’identifier à son prochain héros, Cyrano de Bergerac.
Tout change alors du tout au tout pour l’écrivain: «Il y a deux époques dans la vie professionnelle de Rostand: l’avant et l’après-Cyrano. Avant Cyrano, Rostand écrivait des pièces en vers sur des personnages historiques que peu de gens connaissaient alors. Cyrano de Bergerac lui-même n’était pas une figure archi connue de la littérature. Rostand est arrivé dans une époque cynique où les pièces ayant du succès n’étaient pas les œuvres romantiques que lui souhaitait présenter. Cyrano de Bergerac a été un succès inattendu: c’est maintenant la plus grande pièce de tout le répertoire francophone, et certainement l’une des plus grandes dans le répertoire mondial», nous explique Stéphane Brulotte.
Cependant, ce qui a davantage retenu l’attention de Gabriel Sabourin pour cette création, c’est l’avant Cyrano de la vie d’Edmond Rostand, alors qu’il était loin du succès, comme le dit Olivier Morin: «Ce petit moment-là, à savoir cette petite vignette de vulnérabilité, est extrêmement fécond pour nous aujourd’hui, qui savons qu’il deviendra éventuellement une légende.»
«Il y a une bonne part de fiction; Gabriel ne s’en est pas tenu à faire une biographie de l’auteur. Il a beaucoup inventé, c’est même devenu une fantaisie et une espèce de condensé, une fenêtre sur la vie de Rostand plutôt qu’une présentation exhaustive de sa vie du berceau jusqu’au tombeau.» – Stéphane Brulotte
Edmond Rostand ne serait pas la seule source d’inspiration à travers l’écriture de Gabriel Sabourin, selon Olivier Morin: «Il s’est beaucoup inspiré de Rostand pour écrire cette pièce, mais comme Feydeau était aussi un contemporain et qu’il représentait le théâtre à la mode, Gabriel a beaucoup puisé dans son répertoire également. Il avait d’ailleurs déjà écrit une pièce, Le prince des jouisseurs, qui était une fantaisie sur la vie de Feydeau, donc je crois que c’est, pour lui, une source d’inspiration importante. Il y a une bonne charge de Feydeau au travers du style, çà et là dans notre histoire.»
Oser le vieux théâtre
Pif-Luisant est une création qui reprend les vieux codes du théâtre: beaux costumes, personnages plus grands que nature, verbe haut et émotions fortes. À ce sujet, Olivier Morin a une anecdote très révélatrice: «Cette pièce a failli ne pas voir le jour: Gabriel l’avait écrite et préparée il y a huit ans, mais à l’époque, alors que les risques qu’une chose pareille se produise étaient très minces, quelqu’un d’autre avait écrit une pièce sur la même figure historique. Elle n’avait rien à voir avec Pif Luisant, mais cela lui a quand même mis des bâtons dans les roues. Puis, Denise Filiatrault l’a ressortie récemment, et c’était le moment de la reprendre. Il y a un côté revanche dans notre pièce qui est intéressant à un niveau méta.»
Le niveau méta s’explique quand on compare l’histoire des deux dramaturges: «On parle d’un auteur raté [Rostand] qui n’avait fait que des fours, et qui arrive avec cette pièce un peu surannée, alors que plus personne ne faisait des vers; on était plutôt dans le théâtre expérimental ou encore les grosses comédies de Georges Feydeau, et contre toute attente, Rostand fait de cette pièce le plus grand succès de toute l’histoire du théâtre francophone», nous raconte Stéphane Brulotte.
Et ce parallèle entre les deux créations, celle d’Edmond Rostand et celle de Gabriel Sabourin, a été un terreau fertile pour le metteur en scène: «Cette histoire, pour moi, est très stimulante, car elle signifie qu’on pouvait nous aussi s’autoriser, par le sujet de la pièce, à faire du vieux théâtre, à travers toutes ces zones, dans le jeu, la mise en scène, le décor, etc. J’ai trouvé cela très intéressant et aussi amusant à explorer. C’est en phase avec l’histoire de la création de Cyrano, la manière dont elle se situait par rapport au théâtre de son époque.»
Croire encore en l’amour
Pif-Luisant n’est pas seulement une œuvre à penchants biographiques, c’est aussi une ode à l’amour et à l’espoir, d’après Stéphane Brulotte: «Un aspect irrésistible de la pièce, c’est sa naïveté envers l’amour. J’y reconnais bien mon ami Gabriel, qui est un grand romantique: il y a quelque chose de magnifique dans sa façon de toujours croire en l’amour, malgré toute la dureté de la vie, les horreurs qu’on peut traverser. Les spectateurs sont invités à venir au Rideau Vert pour vivre l’amour, pour y croire encore, eux aussi.»
C’est aussi un spectacle léger, fait pour séduire et faire passer le meilleur moment qui soit à ses spectateurs: «Il y a des feel good movie, eh bien, cette pièce est un feel good play. On a réussi à monter une création qui est charmante, drôle, touchante, courte et punchée: il y a tous les éléments pour passer un bon moment. C’est une pièce faite pour toucher, pour faire du bien au cœur», dit Olivier Morin.
«On a l’impression d’ouvrir un livre d’histoires et de redécouvrir l’idée que l’on se faisait, enfant, du théâtre, où l’on se fait raconter un conte avec de beaux costumes et des personnages plus grands que nature.» – Olivier Morin
La pièce «Pif-Luisant» de Gabriel Sabourin, dans une mise en scène de Stéphane Brulotte, sera présentée au Théâtre du Rideau Vert du 14 mars au 15 avril 2023. Pour en savoir plus ou pour vous procurer vos billets, rendez-vous ici.
Les acteurs de «Pif-Luisant» en répétitions
Par François Laplante Delagrave