ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yannick MacDonald
La légende raconte que Christian Lapointe avait envie de monter ce texte d’Hervé Bouchard depuis sa première lecture, en 2006. Il y a immédiatement décelé une pièce dans le roman. Une longue gestation s’est donc opérée, et avec l’aide du dramaturge Paul Lefebvre, il a élagué de nombreux passages des 237 pages du roman, pour finir avec un concentré de 70 pages, qui donne sur scène une pièce de 90 minutes dont la densité est parfois étourdissante.
On a rarement vu un ensemble d’interprètes être autant au même diapason, fusionner avec le texte à ce point, devenir passagèrement les personnages, être hantés par le vocabulaire fantasque et inventif.
La langue de Bouchard est poétique, vive, parfois inventée, carrément fulgurante. Les phrases coulent comme de la lave, des passages se répètent, les allitérations abondent. Les tirades nous hypnotisent. Des expressions du terroir surgissent, des accents parfaitement maîtrisés se font entendre; c’est la fête des mots.
Oralité optimiste
Car malgré la pauvreté de la classe ouvrière qui est dépeinte ici, la langue est festive. Malgré les circonstances funèbres, le deuil qui frappe, les personnages sont habités d’une immense rage de vivre. La veuve l’illustre bien quand elle proclame que «c’est mon corps déguisé que vous devez sentir se lier à la joie de revenir un jour et non pas ma faiblesse à m’éloigner de vous au point “d’orpheliner” entièrement vos vies. Je ne mourrai pas, ça, ça ne finira pas; c’est parti pour l’éternité, fallait que vous le sachiez.»
Le décor époustouflant de brun évoque les années beiges du Québec, ce gouffre culturel de la fin des années 1970 et du début des années 1980, avec la ribambelle de tantes évoluant en manteau de fourrure, avec des permanentes et d’énormes lunettes de soleil, cigarette à la main, insulte aux lèvres.
Les comédiens et comédiennes portent des masques de latex qui créent un effet de décalage saisissant, à mi-chemin entre le réalisme magique et le film d’épouvante pour enfants qui génère des cauchemars pour la vie. On se dit au passage qu’André Forcier en aurait tiré une œuvre cinématographique inoubliable quand il était au sommet de son art.
Lapointe signe ici une mise en scène confrontante et tonitruante – évidemment – mais aussi nostalgique et tendre. Ça donne une œuvre théâtrale singulière, un Polaroïd jauni d’une famille québécoise d’antan, un objet culturel majestueusement unique.
Une invitation audacieuse à laquelle vous devriez répondre par l’affirmative.
La pièce «Parents et amis sont invités à y assister» en images
Par Yannick MacDonald
L'avis
de la rédaction