ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Philémon Crête
La poupée comme un rituel sacré
Dans le silence le plus complet, sans musique ni paroles, l’homme qu’incarne Stéphane Crête ouvre son imposant colis placé au centre de la scène. Il sort de la boîte chacun des accessoires qu’elle contient: culotte, perruque, déshabillé et j’en passe.
Puis il sort la tête de la poupée et la dépose sur un tabouret. Elle nous regarde droit dans les yeux. C’est assez étrange. Il sort finalement le corps, sans tête, qu’il dépose sur une table, tels un animal à l’abattoir, ou encore un cadavre sur un lit d’hôpital, c’est selon. Le malaise se ressent chez le public, lequel, plongé dans le silence depuis un bon moment, observe cet homme prendre conscience de sa nouvelle compagne, avec beaucoup de minutie.
La suite de la performance se veut une exploration des possibilités de la poupée et de ce qu’elle peut offrir à l’homme souffrant d’une profonde solitude. On n’assiste à rien de déplacé ou de particulièrement trash; l’homme apprend plutôt à connaître sa nouvelle compagne avec le plus grand des respects, comme si elle représentait pour lui une sorte de divinité.
La confusion des états de conscience
Le protagoniste, voulant désespérément se sentir aimé et surtout combler sa solitude, voyagera à travers une multitude d’états d’esprit, devant l’inertie de cette nouvelle présence chez lui. Dans l’espoir que la poupée prenne miraculeusement vie et qu’il puisse ainsi combler l’immense vide qui l’habite, l’homme sur scène passera par la curiosité, la fascination, la folie, la colère, le pathétisme, le désespoir, l’ivresse et le deuil, et ce, à travers une série d’expérimentations avec la poupée. Tout au long de la prestation, celle-ci nous offre de puissantes et troublantes images, notamment grâce au jeu corporel magnifiquement livré par Stéphane Crête.
L’homme se glisse d’abord dans la peau de la poupée et essaie de la comprendre dans une approche de curiosité et de respect, tente ensuite de la séduire en se mettant à nu, puis se soumet à elle dans une sorte d’état de transe d’où émane le désespoir; il danse également avec elle, sans succès, puis réussit finalement à vivre un moment charnel qui prendra fin abruptement. Après plusieurs tentatives pour vaincre sa solitude avec cette poupée, l’homme fera finalement son deuil: ce n’est hélas pas cet amas de silicone qui le guérira de ses blessures.
Bien qu’elle soit assez hétéroclite, la trame sonore qui accompagne cette performance est bien appréciée. Elle aide le public à se sentir plus confortable devant des scènes souvent troublantes, et ajoute ici et là une touche d’humour et de ludisme, tout en comblant le silence par moments. Cette musique soutient à merveille toute la gamme d’émotions que nous fait vivre cette audacieuse proposition théâtrale.
Intrigant, triste et drôle à la fois, avec des moments où l’on se sent toutefois moins à l’aise, ce solo exploratoire autour de la poupée, bien que très hors-norme, est fascinant. Le rythme de la pièce, l’interprétation de l’acteur, tout en nuances, son jeu corporel, qui offre des images puissantes et des questionnements moraux, font de Numain une œuvre réussie.
Il s’agit d’un magnifique travail de recherche et d’exploration qui qualifie, selon moi, Stéphane Crête comme l’un des artistes les plus fascinants qui soient.
«Numain» de Stéphane Crête à La Chapelle en images
Par Philémon Crête
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de la rédaction