ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Romain Fabre
Les acteurs qui se sont prêtés au jeu ne donnent habituellement pas dans la danse, à quelques exceptions près, et un spectateur ignorant ce léger détail n’y verrait que du feu. Lorsque l’obscurité initiale dans laquelle est plongée la salle est dispersée par un éclairage doux, on nous révèle les interprètes, placés debout face au public, qui regardent devant eux, sans émotion. Ils ne démontrent aucun signe qu’ils sont sur le point d’amorcer une longue descente aux enfers.
Évoquer le terrain de jeu de Lucifer, sans décors et sans accessoires, avec seulement des mouvements et de la musique pendant une heure aurait pu s’avérer hasardeux sans l’incroyable force de la vision des créateurs. Une grande partie de l’ambiance nous provient de la tonitruante musique d’Éric Forget, lui-même danseur, un combo d’aptitudes qui rend son choix particulièrement judicieux, lui qui est fort habile et équipé pour créer des atmosphères étouffantes au sein desquelles le corps est appelé à se mouvoir et à se distendre.
Cette vision de Pandémonium et du tortueux chemin qui y mène est ponctuée de citations bien choisies de La Divine Comédie de Dante, et l’œuvre évoque aussi une filiation avec la sensibilité apocalyptique de l’écrivain britannique Clive Barker. Ce dernier a largement étudié la cruauté humaine pour la traduire sous forme de nouvelles dans sa série des Livres de sang, ou encore dans l’œuvre grâce à laquelle sa réputation s’est transportée partout sur la planète, The Hellbound Heart, novella qui a inspiré la série de films Hellraiser.
Reste le choc de voir sur scène ces hommes et ces femmes, que l’on a maintes et maintes fois vus s’échanger des répliques, se contenter cette fois de cris gutturaux ou de hurlements, mais surtout de respirations haletantes sous l’effort. La chorégraphie est punitive, mais ses rouages sont bien huilés, et l’exécution est admirable.
Particulièrement lors d’un rapprochement à la fois sensuel et conflictuel entre Nicolas Patry, être humain longiligne tout en arrêtes, à travers lesquelles Esther Rousseau-Morin se faufile habilement.
Les lumières de Marc Parent, qui passent discrètement du chaud au froid sans rompre le ton, contribuent grandement à l’immersion vécue par le public, qui a droit par moments à une catharsis qui s’apparente à une séance d’hypnose.
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de la rédaction