ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Pierre Sautelet
François (David Houri) vit une relation étouffante avec Mathilde (Maëlia Gentil), qui ne supporte plus qu’il sorte sans cesse plutôt que de passer une soirée à ses côtés. Comment aimer une personne qui cherche à changer qui l’on est? D’ailleurs, pourquoi chercher à changer une personne si on l’a aimée et acceptée ainsi dès le départ? C’est une question qui reviendra, car François n’en a pas terminé avec les relations complexes. En quittant Mathilde, il se lance dans une histoire aux antipodes en vivant avec Esther (Alix Riemer), qui, elle, lui laisse toute la liberté dont il a besoin; peut-être même un peu trop d’espace, puisqu’il lui est permis de faire des rencontres, à condition, bien sûr, de tout lui raconter.
C’est ainsi que François fait la rencontre d’Oliwia (Magdalena Malina), une infirmière polonaise qui, dès qu’elle met les pieds chez Esther et rencontre cette dernière, commence à prendre trop de place dans la vie de couple de l’homme. Celui-ci et Esther semblent avoir l’arrangement parfait, ne se faisant aucune cachette, prônant l’honnêteté et la communication à tout prix, mais jusqu’où leur entente tacite peut-elle aller sans que l’un des deux cesse d’avoir du plaisir?
Car c’est bien là la morale de cette histoire, au fond, d’une banalité sans nom, parce que très authentique et représentative de bon nombre d’histoires amoureuses de nos jours: il n’y a aucune relation parfaite et il ne faut pas chercher l’histoire d’amour qui durera toute la vie. On en retient que peut-être qu’au fond, la vie est faite pour contenir une succession de relations destinées à se terminer, afin de pouvoir vivre autre chose; ce qui ne signifie pas que les histoires ne puissent pas être belles!
Gilles (Yohan Lopez), le meilleur ami de François, secouera d’ailleurs Esther en lui demandant d’arrêter de se comporter en victime. Après tout, lorsqu’une histoire se termine, ça n’est pas toujours la faute d’un méchant qui est cruel avec un bon, n’est-ce pas? François est simplement le prototype parfait de la personne faite pour n’avoir absolument aucune attache. Pourtant, sa vision de la vie fait en sorte qu’il puise énormément de bonheur et de bien-être de chacune de ses relations, même s’il est souvent celui par qui viendra la fin de l’histoire.
Ces personnages, après 2h30 de spectacle (avec entracte), on a l’impression de les connaître, de savoir leurs motivations, leurs envies, leurs peurs. C’est que malgré une pièce longue et assez verbeuse, le naturel étonnant des comédiens et de leur jeu nous donne presque l’impression que rien de tout ça n’était écrit, qu’il s’agissait d’un pan de leur vie réelle dont nous étions les témoins. Rien ne semblait forcé dans le jeu et, avec la fluidité épatante du spectacle, allié à la banalité de l’histoire et de l’action, on est inévitablement amené à croire à une scène du quotidien. La pure représentation de la vie, quoi.
Il était d’ailleurs inutile pour les comédiens de projeter leur voix comme on le voit normalement au théâtre; si la discussion se faisait plutôt entre les acteurs, et si les spectateurs pouvaient parfois mal entendre certaines bribes de conversations, le tout nous sortait encore plus du côté théâtral et nous donnait davantage encore l’impression de vivre une scène de leur vrai quotidien, avec leurs hauts et leurs bas, mais aussi leurs respires.
Pas étouffante, malgré la douleur et la tristesse que certains personnages vivent, malgré les altercations, les reproches – ceux dans les non-dits et ceux verbalisés – et la représentation des difficultés de vivre à deux, le spectacle respire non seulement grâce à ces scènes qu’on a choisi de ne pas écarter et qui représentent la banalité du quotidien, mais aussi grâce à l’utilisation de la vidéo, qui sert à voir ce qui se passe en dehors de cet appartement, en dehors de cette relation, en dehors de ces faux-semblants où finalement, on ne se dit pas forcément tout.
C’est donc un pari réussi pour la troupe française dirigée par Julie Duclos, qui souhaitait braquer la lumière sur les utopies du désir et de la liberté, et qui l’a fait d’une façon sincère, authentique, mais aussi avec beaucoup d’humour. Au fond, tout comme l’éventuel roman écrit par François, l’histoire de la pièce est un prétexte pour dire d’autres choses… Et c’est avec plusieurs réflexions au sujet de l’amour que nous sortons du Théâtre d’Aujourd’hui, soufflés par la vérité qui nous a été présentée et qui a lentement, mais sûrement, fait son chemin en nous.
La pièce «Nos serments» a été écrite par Julie Duclos, aussi à la mise en scène, et Guy-Patrick Sainderichin, et est une adaptation libre du film «La maman et la putain» de Jean Eustache. Elle est une production de l’In-quarto, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 2 juin 2016, à l’occasion du Festival TransAmériques.
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Par Pierre Sautelet
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